« Apprenez-leur à demander à Jésus dans le Saint-Sacrement

de les sanctifier, et de confondre les plans de nos ennemis. »

Et verbum caro factum est, et habitavit in nobis. [Jn 1, 14]

Tantum ergo Sacramentum veneremur cernui. Un si auguste Sacrement, adorons-le, prosternés : ce sont les paroles célèbres de l’hymne du Corpus Domini, composé comme d’autres textes liturgiques de cette fête par saint Thomas d’Aquin. Nous les répétons chaque fois que le Saint-Sacrement est exposé à l’adoration des fidèles, en soulignant notre disposition intérieure avec l’inclinaison du corps, dans la même attitude que Moïse devant le buisson ardent. Les prêtres de la Nouvelle Alliance se couvrent également les mains du voile huméral, en signe de respect, lorsqu’ils doivent donner la bénédiction eucharistique. Et c’est ainsi – cernui, prosternés – que nous devons nous présenter devant le Roi des rois.

La mentalité moderne hait toute hiérarchie terrestre et proclame l’égalité des individus, non pas parce qu’elle désire la paix et la fraternité entre les peuples, mais parce qu’elle sait très bien que la seule société terrestre dans laquelle la paix et la fraternité peuvent régner est celle dans laquelle l’autorité civile et l’autorité religieuse sont l’expression vicaire de l’unique pouvoir suprême de Notre Seigneur Jésus-Christ, Roi et Pontife. Car c’est autour de la réalité ontologique de l’universelle Seigneurie du Christ que tourne toute la Création : omnia per ipsum facta sunt, et sine ipso factum est nihil, quod factum est (Jn 1, 3). L’histoire de la Rédemption tourne autour du Christ, le Soleil invaincu ; et la Croix au sommet du Golgotha est devenue le centre de l’univers : Stat Crux, dum volvitur orbis. La même Croix est plantée sur nos autels, où le prêtre agit en la personne du Christ, et où le Christ est offert sous les espèces du pain et du vin. Et c’est dans le Christ que toutes choses sont récapitulées, c’est en Lui que chaque aspect de notre vie prend sens, c’est à Lui que nous devons rendre compte de nos âmes et de celles de ceux que la Providence nous a confiés. Le monde ne veut pas la paix parce qu’elle ne subsiste que là où se trouve le Christ, et pour que Satan règne, doit régner aussi le chaos, la destruction et la guerre. La paix du Christ est fondée sur la stabilité de l’ordre, et cet ordre terrestre doit nécessairement être un miroir de l’ordre divin : sicut in cœlo et in terra.

Il est très douloureux de voir que, dans une société ennemie du Christ et entièrement vouée au mal, la Hiérarchie catholique s’est en effet séparée du corps ecclésial, scandalise les fidèles et s’aliène également prêtres et religieux.

Alors que la bataille fait rage, les généraux et les officiers ouvrent les portes de la Citadelle et abandonnent soldats et civils au massacre. Bella premunt hostilia, chantons-nous dans l’hymne Verbum supernum prodiens des Laudes du Corpus Domini : des guerres terribles incombent, et ce sont des guerres spirituelles auxquelles nous devons nous préparer : da robur, fer auxilium. Mais ces batailles auxquelles nous sommes confrontés quotidiennement en tant qu’individus et en tant que corps ecclésial font partie d’une guerre qui est déjà gagnée, une fois pour toutes, par notre Roi et Seigneur, qui S’est fait notre allié en Se faisant la nourriture de l’âme, en S’offrant en rançon avec Sa propre Passion et en Se donnant Lui-même victorieux en récompense : Se nascens dedit socium, Convescens in edulium, se moriens in prætium, se regnans dat in præmium. Quand il est né, il est devenu notre compagnon, à son banquet il s’est donné lui-même en nourriture, quand il est mort il est devenu notre prix, dans son royaume il se donnons en premier.

Cette trahison du Sanhédrin romain n’est pas différente de la trahison des Grands Prêtres du temps de Notre Seigneur. Leur asservissement au pouvoir est le même, et tous deux considèrent avec mépris le Christ comme l’usurpateur d’une autorité qu’ils Lui ont en fait usurpée. Mais de même que parmi la foule de ce temps-là, il y avait ceux qui accueillaient triomphalement le Roi d’Israël et ceux qui Le faisaient crucifier, de même aujourd’hui il y a ceux qui L’aiment et L’adorent, et ceux qui Le profanent et L’abandonnent au sacrilège.

De même que pendant la Passion, le Seigneur accepte de Se laisser offenser et frapper jusque dans sa chair eucharistique, et d’autres apôtres L’abandonnent, Le renient, Le livrent à Ses ennemis. Les Judas d’aujourd’hui ne sont pas moins coupables que l’Iscariote, que d’ailleurs ils admirent ; et tandis qu’ils nient la trahison de Juda, ils essaient de cacher la leur.

Mais cette Présence – sans laquelle le monde finirait – rassemble au pied du tabernacle tant de bonnes âmes, tant de gens simples, tant de pécheurs repentants, qui précisément en s’agenouillant et en adorant leur Dieu, Seigneur et Roi, trouvent la force et la grâce de traverser le désert du monde, les ténèbres de cette société rebelle et hostile. Manna absconditum : nourriture céleste, viatique pour affronter le chemin terrestre vers l’éternité. Panis supersubstantialis, Pain des Anges qui se fait Pain des hommes. O res mirabilis : manducat Dominum pauper, servus et humilis. Le pauvre, le serviteur, l’humble se nourrit du Seigneur !

Le monde ne comprend pas le don inestimable que le Seigneur nous a fait, en Se rendant réellement présent dans le Saint-Sacrement de l’autel.

Il ne comprend pas ce don parce que toute âme qui se nourrit dignement de la Très Sainte Eucharistie reçoit avec elle la formidable protection de la Grâce, grandit dans les vertus, progresse dans la sainteté. Ici-bas, elle devient familière, pour ainsi dire, avec la Présence divine de Dieu qui la rend bienheureuse dans l’éternité. La Sainte Communion est le remède contre la peste du monde, parce qu’elle restaure dans l’âme la primauté de Notre-Seigneur sur les créatures, l’incitant à combattre sous l’étendard de la Croix. Remarquez ceci : la solitude à laquelle Satan pousse ses victimes est d’abord et avant tout éloignement du Seigneur, abandon ou profanation de la Sainte Communion, mépris du Saint-Sacrement. Et quand cet énorme vide de l’absence de Dieu a été créé dans une âme qui a été créée pour être habitée par Lui, la contrefaçon, la superstition, l’idéologie révèlent leur fraude et montrent les traits déformés de l’Ennemi, envieux du privilège accordé à nous, misérables mortels, et refusé aux Anges eux-mêmes. C’est pourquoi il est important que notre âme devienne un tabernacle toujours plus digne du Seigneur ; qu’elle brille de simplicité et de décorum, pour devenir un reflet de la splendeur divine de l’Agneau sans tache.

N’oubliez pas, chers frères, de visiter fréquemment le Saint-Sacrement. Ne manquez pas d’envoyer votre Ange Gardien au divin Prisonnier du Tabernacle, afin qu’Il Lui rende en votre nom l’adoration qui Lui est due. Ne négligez pas l’action de grâce après la Communion, car dans ces moments bénis, votre voix s’élève plus agréablement au Ciel. Et si cette voix est celle des enfants, elle touche le Cœur Très Sacré de Notre-Seigneur : apprenez-leur à demander à Jésus dans le Saint-Sacrement de les sanctifier, et de confondre les plans de nos ennemis.

En cette fête solennelle, où la Sainte Église honore son Seigneur en proclamant la Foi immuable en la Présence Réelle du Très Saint-Sacrement, revenons au pied de l’autel, à Celui qui est et doit être le centre de tout. Reconnaissons dans l’exhortation de saint Paul, instaurare omnia in Christo (Ep 1, 9), un appel à récapituler dans le Roi eucharistique tous les aspects de notre vie, quia te contemplans totum deficit, car ce n’est qu’en contemplant le Christ que nous nous rendons compte que sans Lui tout le reste n’a aucune valeur. Ainsi soit-il.

+ Carlo Maria Viganò, Archevêque

2 Juin 2024

© Traduction de F. de Villasmundo pour MPI relue et corrigée par Mgr Viganò

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