Après un doctorat d’histoire en France et en Italie, Marie Favereau a commencé sa carrière universitaire comme membre scientifique de l’Institut d’archéologie orientale du Caire. Elle a déjà publié plusieurs ouvrages sur Gengis Khan, la Horde d’or et l’islam. Actuellement maîtresse de conférences en histoire médiévale à l’université Paris-Nanterre, elle poursuit ses travaux sur l’Empire mongol. Elle signe chez Perrin la version française de La Horde.

L’empire mongol engendra plusieurs régimes politiques nomades autour des lignages des quatre fils de Gengis Khan : les Jochides, les Chagatayides, les Ögödéides et les Toluides. Ce livre est dédié au régime jochide – la Horde – et entend faire la lumière à la fois sur un art de gouverner à la mongole et sur la façon avec laquelle les Jochides s’en éloignèrent pour développer leur propre style. La Horde fut ce grand régime nomade et équestre né de l’expansion mongole du XIIIe siècle. Un régime d’une telle puissance qu’il gouverna quasiment toute la Russie actuelle jusqu’en Sibérie occidentale pendant près de trois siècles. Ce livre cherche à comprendre son fonctionnement de l’intérieur et à saisir comment un tel régime émergea et se développa à travers les siècles, s’ajustant et se transformant tout en conservant son caractère nomade. Il met aussi en lumière des concepts propres à la Horde, tels que ulus, saray (villes sédentaires construites par les nomades dans la plus grande ville jochide appelée Saray), khan (souverain) et beg (chef nomade) afin d’expliquer les rouages internes à l’Etat nomade.

La conversion des Jochides à l’islam renforça les liens entre l’impérialisme mongol et l’Egypte mamelouke : l’alliance entre les deux fut de celles qui participèrent à faire du grand échange mongol un phénomène global. Les Jochides établirent également des partenariats commerciaux avec les Russes, les Allemands, les Génois, les Vénitiens, les Byzantins et les Grecs ; et leurs réseaux marchands pouvaient atteindre les Flandres. Si la Horde était projetée sur une carte moderne, elle couvrirait les régions actuelles d’Ukraine, Bulgarie, Moldavie, Azerbaïdjan, Géorgie, Kazakhstan, Ouzbékistan, Turkménistan et Russie – dont le Tatarstan et la Crimée. Son histoire est donc celle d’un héritage en partage. Cet héritage n’appartient à aucun des récits nationaux de ces Etats, récits le plus souvent centrés sur la langue, l’ethnicité et la religion.

Le conflit de succession pour le trône du grand khan éclata dans les années 1260 et mena à la guerre entre les descendants de Gengis Khan. A cette époque, la Horde se sépara définitivement de l’empire et perdit alors de substantielles ressources financières. Sous le règne de Berke Khan, les Jochides durent trouver de nouveaux moyens pour assurer leur sécurité économique et leur autorité politique. Ils forgèrent une entité autonome indépendante du grand khan capable de résister à la pression des opposants mongols.

Le phénomène de globalisation initié par les Mongols entraîna pour les Jochides une explosion de la croissance urbaine à mesure que les populations affluaient. Les dirigeants de la Horde encourageaient ce processus d’urbanisation de la steppe et, dans leur sillage, les élites nomades finançaient la construction d’églises de pierre, de mosquées, de palais et d’exploitations agricoles. Les nomades firent aussi ériger des installations de drainage et d’irrigation pour leurs cités construites le long des fleuves ou des mers intérieures. Dans les années 1360, la lignée des khans jochides issue de Batu s’éteignit, ce qui déboucha sur une période de crise. Il y eut pour commencer les ravages de la Mot noire, une pandémie de peste qui conduisit à un désastre économique, ferma les marchés et vida les cités de la Horde. Si les villes furent abandonnées par les Mongols, ce ne fut pas seulement en raison de la peur de l’épidémie mais aussi par décision collective de repli. Il s’agissait là d’une stratégie éprouvée par les nomades, mise en pratique à l’échelle de l’empire, tant sur les champs de bataille que dans la vie quotidienne. Leurs manières de vivre et de gouverner, à l’image de leur régime, se révélaient mouvantes, déployables, endurantes. La puissance transformatrice du régime mongol et de la Horde opéra à l’intérieur comme à l’extérieur et changea le monde. En Europe de l’Est, les vassaux jochides ont su unifier des populations disparates qui allaient devenir les peuples que nous connaissons actuellement – ainsi les Bulgares et les Roumains. Aujourd’hui, de nombreuses communautés de Russie et d’Asie centrale continuent de voir dans la Horde le pivot de leur histoire nationale. La Horde façonna la politique de la Russie et de l’Asie centrale, permit à l’islam de s’ancrer solidement dans le Caucase et dans l’est de l’Europe, conduisit les peuples de la steppe vers l’Egypte mamelouke et les Franciscains vers la Crimée et la basse Volga. Le grand échange mongol, dont les Jochides furent les acteurs principaux, érigea un pont entre l’Est et l’Ouest.

La Horde, Marie Favereau, éditions Perrin, 426 pages, 25 euros

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