Au cours de l’Histoire de France, le drapeau français a connu différentes évolutions qui témoignent de changements de régimes. Le drapeau bleu-blanc-rouge tel que nous le connaissons aujourd’hui est directement lié à la Révolution française. A ce titre, il est généralement mal vu des royalistes et des contre-révolutionnaires. Le bleu, le blanc et le rouge ont bien été associés déjà sur des drapeaux militaires de la France royale, mais les drapeaux des régiments de l’armée du Roi étaient toujours de format carré et conçus autour d’une croix centrale.

Cependant, au fil du temps, le drapeau français républicain fut associé à toutes les grandes heures de sacrifices français. Chacun a dans sa famille plusieurs ancêtres qui ont combattu durant la Première Guerre mondiale avec ce drapeau (d’ailleurs parfois frappé du Sacré-Cœur).

Le drapeau tricolore fut planté sur tous les territoires de la France métropolitaine et de l’Empire colonial.

Les anciens combattants de toutes les guerres auxquelles a participé l’armée française le portent fèerement.

Et il repose sur les cercueils des militaires, gendarmes et pompiers lors de leurs funérailles.

Signalons que Doublet propose un large choix de drapeaux de défilé et d’oriflammes tricolores ainsi qu’une section range vélo, tant pour les associations d’anciens combattants que pour les institutions, collectivités, ou les particuliers.

Enfin, nous vous proposons ci-dessous l’Histoire d’un Drapeau Français du Commandant Driant. Sous le pseudonyme de Capitaine Danrit et à commencer par la Guerre de demain en 1889, cet officier supérieur a écrit 24 livres, tous consacrés à la glorification de l’Armée et de la Patrie. L’article qu’il nous donne aujourd’hui n’a pas d’autre objet. C’est une page, la plus sombre peut-être de l’histoire de l’armée de Metz en 1870, mais aussi des plus fécondes en enseignements pour ceux qui oublient!

C’était le 27 octobre 1870, à 7 heures du matin. Investie depuis deux mois, Metz agonisait.

Pêle-mêle, les officiers du 1er Régiment de Grenadiers et ceux du Régiment de Zouaves de la Garde sortaient d’un hangar où les avait réunis leur Général de Brigade.

Visages convulsés, interpellations virulentes, jurons énergiques, tout indiquait que la communication qu’ils venaient de recevoir était angoissante au plus haut point.

Le Gal Jeanningros leur avait fait part en effet de l’échec des négociations entamées par le Maréchal Bazaine avec le Roi Guillaume. Le Gal Boyer qui avait effectué deux fois le voyage de Versailles pour obtenir que l’armée française de Metz pût se retirer derrière la Loire et contribuer à rétablir l’ordre dans le pays, avait rapporté la veille l’ultimatum brutal du vainqueur.

L’armée de la ville de Metz devait subir les lois de la guerre.

Le Gal Changarnier et le Gal de Cissey qui avaient fait une suprême tentative auprès du Commandant de l’armée du blocus, avaient reçu la même réponse du Prince Frédéric Charles.

L’armée française était prisonnière de guerre et devait se rendre à discrétion avec ses armes et ses Drapeaux.

Le Colonel Giraud, Commandant le Régiment de Zouaves de la Garde, et la Capitaine Adjudant Major Corréard du même Régiment étaient sortis ensemble de la lugubre réunion.

Tous deux prirent la direction du campement des Zouaves qui s’étalait dans une boue gluante et noire sur les dernières pentes de Plappeville.

A leur droite, l’énorme masse de Saint-Quentin, le réduit de la défense de Metz, profilait ses hauts parapets derrière lesquels les grosses pièces de 24 se taisaient depuis 15 jours.

Car tout le monde la sentait venir l’heure déshonorante: et par une sorte de convention tacite, les avant-postes ne se fusillaient plus, les forts ne ripostaient plus, et les malheureux soldats de l’armée du Rhin affamés, déguenillés, allaient déterrer quelques rares légumes, jusque sous les baïonnettes des sentinelles prussiennes qui laissaient faire.

Le temps était affreux; le ciel à l’unisson des événements avait revêtu ses lugubres teintes d’hiver et les camps encombrés de chevaux qui se mourraient par centaines et sur lesquels les hommes venaient découper leurs rations quotidiennes, ressemblaient à des cimetières bouleversés.

La pluie tombait, drue, serrée, implacable, et le Colonel Giraud se hâtait vers la Moselle

– Vous avez entendu mon Colonel, ce que le Général a dit en terminant, fit l’Adjudant Major.

– Pour les Drapeaux?

– Oui, pour les Drapeaux; il a appuyé sur la phrase « Il espérait bien que nous ne les livrerions pas et que nous saurions les soustraire à l’ennemi!… »

Il y eut un silence; puis le Commandant du Régiment de Zouaves objecta à mi-voix:

– Si le Maréchal en donne l’ordre pourtant!

– Oh mon Colonel, s’écria vivement l’Adjudant Major, c’est impossible!… notre Drapeau, le Drapeau de Sébastopol, de Solférino, de Magenta!… c’est impossible… et ce mot sans doute parce qu’il n’est pas français, s’étrangla dans la gorge du jeune officier.

Le même jour à trois heures du soir, un ordre de l’armée du Rhin, signé Bazaine, prescrivait à tous les chefs de corps de « faire porter le lendemain, 28 octobre, à l’arsenal de Metz, leur Drapeau ou Étendard afin d’en faire la remise à cet établissement qui était chargé de les brûler. »

Quelques heures après avoir donné cet ordre, le même Bazaine apprenant que le Prince Frédéric Charles faisait de cette question des Drapeaux une condition de rupture des négociations et qu’il dénoncerait la convention signée s’il ne lui en était pas livré en nombre suffisant, manda aussitôt le Gal Soleille, Commandant de l’Artillerie de l’armée du Rhin.

– Combien de Drapeaux dans toute l’armée? lui demanda-t-il brusquement.

– Quatre-vingt-quatre, Monsieur le Maréchal.

– Combien manquent déjà?

– Le Colonel de Gizels, Directeur de l’Artillerie et de la Cavalerie a de sa propre autorité fait brûler ceux de l’Artillerie et de la Cavalerie; quelques Généraux l’ont imité à la Brigade mixte et au 2e Corps notamment.

– Combien en reste-t-il?

– Cinquante trois.

– Dites au Colonel de Gizels que je lui interdis formellement de restituer les Drapeaux déjà déposés aux Généraux ou Colonels qui les réclameraient et que je le rends personnellement responsable de l’exécution de cette disposition qui intéresse au plus haut degré le maintien de la convention honorable qui a été signée.

Honorable, le mot y est: en le lisant sur l’ordre écrit qui suivit cette conversation et qui fut produit au procès de Trianon, on se demande ce qu’eut du être pour n’être pas honorable, une capitulation qui livrait sans conditions à l’ennemi: 173 000 hommes, 3 Maréchaux de France, 50 Généraux, 6000 Officiers, 53 Drapeaux, 1400 pièces de canon, 200 000 fusils, 3 millions d’obus, 23 millions de cartouches, une place forte inviolée et un matériel immense.

Le 28 octobre, à midi, en présence de l’ordre formel du Maréchal qu’il ne croyait pas pouvoir transgresser, le Colonel Giraud prescrivit à l’Adjudant Major de service de commander une escorte d’honneur pour accompagner le Drapeau à l’arsenal de Metz. Cet officier était chargé avec le porte-aigle d’en faire remise au Directeur d’artillerie contre reçu. C’était encore au Capitaine Corréard qu’incombait cette douloureuse mission.

– Mon Colonel, je vous en supplie, au nom de tous mes camarades, objecta-t-il, je vous en conjure, détruisons le Drapeau, évitons lui… évitons-nous cette honte! ne le livrons pas!

– L’ordre du Maréchal est formel!

– Il y a des ordres qui ne comptent pas. Tenez, mon Colonel, voici la copie du billet que le Gal de Laveaucoupet, Commandant la 3e Division du 2e Corps, a adressé à ses quatre Colonels: « Faites sortir votre Drapeau de l’étui ou plutôt du corbillard où il est enfermé. Qu’on lui rende une dernière fois les honneurs et qu’ensuite il soit brûlé. » et l’ordre a été exécuté de suite.

– Le Général Lapasset a fait de même, intervint à ce moment le lieutenant Coste, porte-aigle du Régiment. Il a fait répondre au Maréchal: « La Brigade mixte ne rend ses Drapeaux à personne et ne se repose sur personne de la triste mission de les brûler; elle l’a fait elle-même ce matin, et j’ai entre les mains les procès verbaux de cette lugubre opération. »

– Tout cela est antérieur à l’ordre que j’ai reçu, reprit le Colonel très ébranlé.

– Tenez, mon Colonel, reprit le Capitaine Corréard, je suis convaincu que le Régiment de Grenadiers qui fait brigade avec nous ne rendra pas son Drapeau et s’inspirera de ce que le Gal Jeanningros nous a dit hier… Permettez-moi d’aller m’informer auprès de son Colonel.

– Si vous voulez, mais il a du recevoir l’ordre comme moi.

Le bouillant Adjudant Major se précipite chez le Colonel Péan des Grenadiers, et sans hésitation:

– Mon Colonel, lui dit-il, le Colonel des Zouaves de la Garde me charge de vous informer qu’il ne livrerait pas à l’ennemi le Drapeau de son Régiment, qu’il allait sur l’heure le faire mettre en pièces et en distribuer les lambeaux aux officiers. Il vous prie de lui faire connaître votre détermination au sujet du Drapeau du 3e Grenadiers.

– Répondez que j’ai reçu l’ordre, l’ordre vous entendez bien, de faire porter le Drapeau à l’arsenal de Metz et que je ne vois pas la possibilité de me soustraire à son exécution.

Le pieux mensonge de l’officier a échoué. Il ne se regarde pas comme battu cependant: il avise un groupe d’officiers de Grenadiers qui discute et s’adressant à l’un d’eux, le Capitaine Lanes, il lui raconte la démarche infructueuse qu’il vient de faire.

– Quant à nous, ajoute-t-il, nous sommes bien résolus à ne pas livrer notre aigle aux Prussiens et je retourne de ce pas auprès du Colonel Giraud qui a décidé de le détruire.

– Nous sommes tous solidaires, s’écrient les officiers de Grenadiers et nous allons faire remonter à notre Colonel que nous avons là-dessus les mêmes sentiments que vous.

Cependant autour de la petite maison de vigneron qu’habite le Colonel Giraud, des groupes se sont formés, composés d’officiers, de sous-officiers, de Zouaves chevronnés et médaillés, comme en comportaient les Régiments d’alors.

Le Drapeau vient d’être apporté dans son étui. Six sous-officiers tous médaillés choisis parmi les anciens attendent à la porte l’ordre de l’escorter jusque’à Metz.

Des protestations ardentes s’élèvent.

Il faut sauver le Drapeau.

Des projets insensés fusent au milieu de l’excitation croissante.

– Que le Colonel se mette à notre tête!… nous ferons une trouée!… Ils ne l’auront pas!

Les officiers se pressent autour du Colonel l’adjurant de ne pas obéir, quelqu’un – je n’ai pas pu retrouver son nom – émet l’opinion que, si le Drapeau ne doit être porté à l’arsenal que pour y être brûlé, il appartient à ceux qui en ont la garde jusque’à présent de le détruire eux-mêmes.

Le Colonel hésite encore: il tient à la main l’ordre écrit signé du Chef d’Etat-Major de l’armée du Rhin. De simples Zouaves ont envahis l’étroit logement. Le Drapeau est tiré de son étui. Un Sergent-fourrier, Besanzon, en saisit les franges et répète:

– Il ne faut pas! Mon Colonel, il ne faut pas!…

Des imprécations éclatent, se croisent; de vieux sous-officiers qui ont vu Magenta pleurent de rage.

La surexcitation générale s’accroit à vue d’oeil.

A ce moment fait irruption le Capitaine Corréard.

– Les camarades du 3e Grenadiers refusent de livrer leur Drapeau s’écrit-il.

Et ce compte-rendu qui n’est guère plus exact que l’affirmation servie au Colonel Péan quelques instants auparavant emporte enfin l’adhésion du Colonel Giraud.

– Dévissez l’aigle, ordonne-t-il d’une voix mal assurée, et faites venir l’armurier.

Le porte-drapeau dévisse l’aigle: le pied sur lequel sont gravés les initiales du Régiment est livré avec l’aigle au maître-armurier qui devant tous martèle les deux pièces et sort avec un sous-officier d’escorte pour les enterrer dans un coin du bivouac.

Peut-être, depuis, le soc d’une charrue a-t-il fait sortir de terre ces informes et glorieux débris. Le paysan messin qui les a trouvés a-t-il soupçonné quelque chose du drame à la fois simple et poignant qui s’est joué là?

Le Lieutenant Coste a reçu un couteau d’un Sergent Major. Il détache la cravate et l’offre au Colonel qui a prié le Lieutenant-Colonel Hubert de la Hayrie de la partager entre les officiers supérieurs du Régiment.

Un Zouave apporte des ciseaux. Le porte-drapeau taille, coupe, et s’adjuge à lui-même un large morceau, le plus beau peut-être, celui qui porte les noms de victoires

SEBASTOPOL 1855

MAGENTA 1859

SOLFERINO 1859

Les officiers présents demandent et reçoivent des morceaux pour les camarades qui sont de service ou à l’ambulance, puis les sous-officiers, les caporaux, les simples Zouaves qui ont la chance de se trouver là, tendent la main, emportant chacun un lambeau: sur celui-ci est une lettre, sur celui-là brille une abeille d’or. Les carrés deviennent de plus en plus minuscules, car le bruit du partage s’est répandu au dehors et tous veulent avoir leur part. Les derniers n’ont que des franges, auxquelles adhèrent quelques filaments de soie.

Le Caporal-Sapeur est chargé de brûler la hampe et l’emporte. La salle se vide.

Le Drapeau des Zouaves de la Garde a disparu.

Le Colonel Giraud qui depuis six ans en était le gardien, reste seul et pleure.

C’est à ce moment qu’un planton lui apporte le protocole qui contient les clauses de la capitulation exécutoire le 29 à midi.

Il en accuse réception et rédige les ordres pour le rassemblement du lendemain.

C’est sous une pluie battante que le Régiment entre dans Metz le 29 Octobre à 8 heures du matin. Les hommes sont haves, amaigris, silencieux; la pluie tombe à flots. Pour traverser la ville les capuchons ont été rabattus sur les figures. cette dernière étape est une marche funèbre et la foule regarde passer les Zouaves, silencieuse et morne.

Au-delà de la porte Serpenoise, sur le glacis à droite de la route d’Ars, les faisceaux sont formés. Les cartouches sont tirées hors des sacs. Officiers et Zouaves s’étreignent avant la séparation. Les troupes allemandes apparaissent et leurs noirs bataillons emplissent les rues dont toutes les fenêtres sont refermées.

Metz, considérée comme imprenable depuis que François de Guise y a résisté 3 mois, brèches ouvertes, à Charles Quint, Metz la Pucelle a dénoué sa ceinture de remparts.

Et sur les routes d’Allemagne s’écoule une des plus belles armées de France, une armée qui a mis hors de combat 46 000 ennemis, conquis 2 canons et pris un Drapeau les armes à la main, sans avoir perdu sur les champs de bataille où sont tombés 42 000 des siens, ni un Drapeau, ni un canon!

Le Prince Frédéric Charles a fait orner ce jour-là son Quartier-Général des cinquante-trois Drapeaux livrés par Bazaine.

Du moins les Officiers des Zouaves de la Garde qui passent devant ce trophée édifié par la famine et la trahison, ont-ils la consolation de penser que leur Drapeau n’est point là.

Chacun d’eux serre précieusement sur sa poitrine le lambeau sacré qui, au milieu des tristesses de la captivité, va lui rappeler sur la terre étrangère le Régiment et la Patrie!

Un Régiment ne meurt pas.

Le 28 Octobre, jour où avait disparu le Drapeau, un décret du Gouvernement provisoire créait le 4e Régiment de Zouaves avec le Dépôt et les restes du Régiment des Zouaves de la Garde: il y incorporaient en outre les débris des 1er, 2e et 3e Zouaves.

Un mois après, le 30 novembre, à Champigny, le nouveau Régiment achetait au prix de la moitié de son effectif (22 officiers et 534 Zouaves tués ou blessés) le droit de donner au Drapeau de Metz un remplaçant digne de lui.

Porté à l’ordre du jour de l’Armée sous le Général Ducrot, il se battait à Montretout six semaines après et, ce jour-là, 14 officiers et 93 Zouaves payaient de leur vie l’honneur du jeune Drapeau qui leur avait été confié.

Rentré en Algérie, le 4e se signalait encore dans vingt rencontres pendant la sanglante insurrection de 1871.

Puis vint la période de recueillement et de reconstitution de nos forces militaires. En 1882, le 4e Zouaves entrait à Tunis où il est encore.

Il y a 23 ans de cela, en 1884, j’arrivais au 4e Zouaves comme Lieutenant et le hasard d’une rencontre dans la brousse me permettait de recueillir de la bouche du Colonel Corréard qui commandait une colonne aux environs de Kairouan, le détail de la lacération du Drapeau de Metz.

Six ans après, en 1890, me trouvant en permission à Compiègne, j’aperçus sur la cheminée d’un coiffeur de cette ville, soigneusement encadré, un petit lambeau d’étoffe bleue, et l’inscription qui expliquait la provenance me fit aussitôt bondir le coeur.

J’y lisais en effet

Morceau du Drapeau des Zouaves de la Garde

reçu pour ma part le 28 Octobre 1870

signé : Donzelle

– C’est à vous ce souvenir?

– Certes, fit-il, et vous pensez si j’y tiens.

– Vous avez appartenu aux Zouaves de la Garde?

– Oui, j’y étais simple Zouave: c’est une veine que je me sois trouvé là quand on a fait la distribution du Drapeau. Je ne donnerais pas ça pour mille francs.

– Pourtant, fis-je au bout d’un instant et sans instruction précise d’ailleurs, cette relique ne vous appartient pas.

Il faillit couper le client qu’il rasait, tant son mouvement fut brusque.

– Comment, s’exclama-t-il, elle ne m’appartient pas! Mais à qui appartient-elle alors? Aux prussiens peut-être?

– C’est un dépôt qui vous a été confié, repris-je. Il devait revenir après la guerre à votre Régiment.

– Mais mon Régiment n’existe plus.

– Erreur: le 4e Zouaves l’a remplacé. J’y suis Capitaine et cette relique – car c’en est une – devrait être à notre Salle d’Honneur.

Il y eut un silence; le brave homme était visiblement partagé entre deux sentiments contradictoires.

– Eh bien, fit-il, se décidant soudain, si les autres restituent leur morceau, je consens à rendre le mien.

– Faites mieux, mon vieux camarade, lui dis-je, confiez-moi ce morceau. je le présenterai au Colonel et lui proposerai de retrouver les autres. S’il croit la chose impossible après 20 ans, je vous renverrai ce souvenir auquel vous devez tenir par dessus tout. Dans le cas contraire, vous aurez été le premier à contribuer à la reconstitution du Drapeau des Zouaves de la Garde.

Ainsi fut fait: rentré à Tunis, je soumis l’idée au Colonel Jeannerod. Pour qui a connu le chef brillant et vibrant qui commanda par la suite le 1er Corps d’armée, la réponse ne pourrait être douteuse.

Il constitua aussitôt une commission sous sa présidence et voulut bien m’en nommer rapporteur. Je commençai aussitôt la série des démarches voulues auprès des survivants des Zouaves de la Garde. Elles durèrent trois ans et furent poursuivies par le Capitaine Schuhler, lorsque je fus nommé Instructeur à Saint-Cyr.

Le Général Giraud et le Général de la Hayrie vivaient encore, l’un en retraite, l’autre Divisionnaire à Reims. Ils applaudirent à l’idée et renvoyèrent aussitôt les deux morceaux de la cravate dont ils étaient détenteurs.

Le Colonel Corréard remit un lambeau blanc portant l’inscription « Régiment de Zouaves » encadré de lauriers.

Puis successivement nous reçûmes:

Du Commandant Ceragioli le mot « Zouaves » en grandes lettres dorées sur fond blanc.

Du Commandant Coste, ancien porte-drapeau, les trois noms de batailles de Crimée et d’Italie.

Du Capitaine Besanzon le mot central Garde sur fond blanc.

Du Capitaine Courlange les deux noms Marengo et Ulm.

Du Commandant Brunache le mot Iéna.

Car détail curieux, ces noms de victoires avaient été empruntés par la Garde Impériale du second Empire à celle du premier, bien que les dates de 1800, 1805 et 1806 fissent un singulier effet sur le Drapeau des Zouaves dont l’origine ne remonte qu’à 1830.

Les autres morceaux, tous beaucoup plus petits, provenaient du Commandant Sedillot, du Capitaine Latreille, du Lt-Colonel Jubinal, du Commandant Piegre, du Capitaine Deswartes-Vandamme et des sous-officiers, caporaux et Zouaves Dondelle, Moissonnier, Chasse, Toussaint, Courrouce, Vacher, Boniville, Chalumeau, Roubault et Mongin.

Cinquante cinq morceaux furent ainsi recueillis.

Vingt ans après la guerre, il n’était guère possible d’espérer davantage.

Combien de ces reliques étaient passées aux mains de veuves et d’orphelins! Combien d’autres avaient été enterrées avec les Zouaves morts en captivité ou ornent encore en ce moment la demeure d’anciens soldats auxquels notre appel n’est pas parvenu!

Si ce dernier appel leur arrive, qu’ils envoient leur lambeau à Tunis! Sa place est là!

Quoi qu’il en soit, nous possédions les principaux morceaux et le 1er mars 1894, le Général Jeannerod consacrait l’ordre du jour suivant à la reconstitution du Drapeau de Metz :

Le 28 octobre 1870 à Metz, le Drapeau du Régiment de Zouaves de la Garde était déchiré et partagé entre les Officiers et Zouaves.

Le même jour, 28 octobre 1870, le 4e Zouaves était formé à Paris avec le Dépôt et les restes du Régiment des Zouaves de la Garde.

A Champigny et à Montretout sous Paris, à Héricourt, et à La Cluse dans l’armée de l’Est, en 20 rencontres différentes pendant l’insurrection de 1871 en Algérie, le sang des Zouaves du 4e à été mêlé à celui des Zouaves de la Garde.

Le Drapeau des uns était bien celui ces autres.

Le jeune Régiment s’était partout montré digne de ses pères. L’honneur de ressusciter leur Drapeau lui appartenait.

En 1891, cette ouverte patriotique a été entreprise; elle est aujourd’hui terminée. Après de longues recherches, dans lesquelles M. le Capitaine Driant, Secrétaire de la Commission, s’est acquis par la persévérance de ses efforts un véritable titre à nos remerciements, cinquante-cinq fragments du Drapeau ont été reçus de 25 donateurs.

Ces précieuses reliques ont été religieusement rassemblées dans un cadre digne d’elles, où on lit avec fierté à côté de la désignation du Régiment, les noms glorieux de Sébastopol, Magenta, Solférino.

Saluons ces chers débris d’un Drapeau qui a inspiré tant de dévouements, tant de sacrifices et dont le prix sera toujours au-dessus du sang qui a été versé pour lui.

Respect à ceux qui nous l’ont conservé et merci aux coeurs généreux qui ont pendant 20 ans gardé ces précieuses reliques pour les rendre à la famille militaire.

Officiers et Zouaves du 4e, portons souvent nos regards sur les restes de ce Drapeau, image vivante de la Patrie, déchirée, de ses gloires, de ses infortunes et de ses espérances; entourons d’honneur ce symbole du Devoir militaire, ce témoin de si nobles exemples et respect aux braves qui l’ont arrosé de leur sang. Que leurs vertus nous animent, que la France nous trouve toujours prêts et dignes du renom de nos pères.

Salut à leur Drapeau; nous le conserverons dans notre Salle d’Honneur sous la garde du 4e Régiment de Zouaves.

Quatre ans après, le Colonel Cauchemez qui commandait le Régiment où j’étais revenu comme officier supérieur, me chargeait d’y organiser une fête en l’honneur des Deux Drapeaux.

Elle eut lieu le 24 juin 1898, double anniversaire de Solférino et d’Icheriden.

Nul de ceux qui y ont assisté ne l’oubliera. Car le vieux Drapeau lacéré et reconstitué y figurait à côté du Drapeau neuf.

Sur la scène dont ils occupaient le fond, un vieux Zouave chevronné, médaillé et s’appuyant péniblement sur un bâton, figurait l’ancienne armée et rappelait à un jeune Zouave imberbe de la dernière classe, les tristesses du passé et les promesses de l’avenir.

Dans la vaste cour de la caserne Saussier, 1200 Zouaves, recueillis, émus, écoutaient comme on n’écoute plus aujourd’hui, les adieux de l’ancien à son Drapeau retrouvé :

Le vieux Zouave

Cher Drapeau, je te laisse en de vaillantes mains.

Puissent-elles un jour – et que bientôt il vienne –

Te porter haut et fier sur de nobles chemins!

Ajoute un nouveau nom à la victoire ancienne.

Puisses-tu, cher vaincu, revenir triomphant!

Sois grand! fais frissonner la foule qui regarde,

Sois digne des aïeux! Garde le bien, enfant!

C’est le Drapeau sacré des Zouaves de la Garde!

(se tournant vers les Zouaves du parterre)

Sauriez-vous tous mourir pour lui?

Le jeune Zouave

(étendant la main et regardant ses camarades)

Nous le jurons!

Pour lui, s’il faut mourir, mon ancien, nous mourrons!

Le vieux Zouave

Je te crois, mon enfant; puisse l’antique flamme

De l’espoir éternel tremper toujours ton âme.

Je m’en vais bien heureux, emportant ton serment.

Adieu, mon vieux Drapeau de mon vieux Régiment!

Et quand l’ancien appuyé sur le jeune s’en allait mélancoliquement, je me disais en regardant de nombreux Zouaves s’essuyer les yeux:

Braves gens, l’atavisme est là et le tempérament guerrier de notre nation fera toujours d’eux les premiers soldats du monde. Puissent-ils seulement un jour être mieux conduits!

Il y a dix ans de cela!

Dix ans pendant lesquels bien des illusions se sont effeuillées, bien des ruines se sont accumulées, bien des blasphèmes ont jailli vers le Drapeau.

Le Drapeau n’est pas atteint!

Il reste pour les masses populaires le symbole intangible et sacré qu’elles suivront quand l’appel du canon fera tressaillir l’âme française.

Et plus haut que jamais je répète ces vers du vieux Zouave de Magenta et de Sébastopol:

C’est bien lui! les voilà tous nos noms de victoires!

O ma religion, mon honneur et ma foi!

Clocher du Régiment, Livre d’or de nos gloires!

Toi qui fus tout cela, salut mon vieux Drapeau!

Commandant Driant, Juin 1909

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