Sanctoral 

XIII° dimanche après la Pentecôte

Le treizième Dimanche prend aujourd’hui son nom de l’Évangile des dix lépreux qu’on lit à la Messe.

A LA MESSE. L’Église, en possession des promesses si longtemps attendues par le monde, aime à revenir sur l’expression des sentiments qui remplissaient l’âme des justes durant ces siècles désolés où le genre humain végétait sous les ombres de la mort. Elle redoute le danger où se trouvent ses trop heureux fils d’oublier, dans leur abondance, les conditions désastreuses que l’éternelle Sagesse leur a épargnées, en les appelants à vivre dans les temps qui ont suivi l’accomplissement des mystères du salut. D’un tel oubli naîtrait sans peine l’ingratitude, condamnée à bon droit par l’Évangile du jour. C’est pourquoi l’Épître, et, avant elle, l’Introït, nous reportent au temps où l’homme vivait de la seule espérance, ayant bien la promesse d’une alliance sublime qui devait se consommer dans les siècles futurs, mais, cependant, dénué de tout, en butte aux perfidies de Satan, abandonné aux représailles de la justice divine en attendant de retrouver l’amour. Nous avons vu, il y a huit jours, le rôle de la foi et l’importance de la charité dans le chrétien vivant sous la loi de grâce. L’espérance aussi lui est nécessaire ; car bien que déjà en possession substantielle des trésors qui feront à jamais son bonheur, l’obscurité de cette terre d’exil les dérobe à sa vue, et, la vie présente restant toujours le temps d’épreuve où chacun doit mériter sa couronne, la lutte fait peser jusqu’au bout sur les meilleurs son incertitude et ses amertumes. Implorons donc avec l’Église, dans la Collecte, l’accroissement en nous des trois vertus fondamentales de foi, d’espérance et de charité ; pour mériter d’arriver à la consommation de tout bien qui nous est promise au ciel, obtenons la grâce de nous attacher de cœur à ces commandements de Dieu qui nous y conduisent, et que l’Évangile de Dimanche dernier résumait dans l’amour.

ÉPÎTRE. « Regarde le ciel et comptes-en, si tu peux, les étoiles : aussi nombreuse sera ta descendance. » Abraham avait près de cent ans, et la stérilité de Sara lui enlevait tout espoir naturel de postérité, quand le Seigneur lui parla de la sorte. Abraham cependant crut à Dieu, nous dit l’Écriture, et sa foi lui fut imputée à justice. Et quand, plus tard, la même foi  lui eut fait offrir sur la montagne le fils de la promesse, son unique espérance, Dieu renouvela sa prophétie, et il ajouta : En ton germe seront bénies toutes les nations de la terre. Or voici qu’à cette heure la promesse s’accomplit ; l’événement donne raison à la foi d’Abraham. Il crut contre toute espérance, se confiant au Dieu qui donne la vie aux morts et appelle ce qui est comme ce qui n’est pas ; et voici que, selon la parole de Jean-Baptiste, des pierres mêmes de la gentilité surgissent en tous lieux des fils d’Abraham. Sa foi, en même temps si ferme et si simple, rendit à Dieu la gloire qu’il attend de la créature. L’homme ne peut rien ajouter aux perfections divines ; mais, sur la parole du Seigneur lui-même, quoique ne les voyant point directement ici-bas, il reconnaît ces perfections dans l’adoration et l’amour, il inspire de la foi sa vie entière ; et cet usage qu’il fait librement de ses facultés, cette adhésion spontanée d’un être intelligent, magnifie Dieu par l’extension de sa gloire extérieure. Sur les traces d’Abraham  sont donc venues des multitudes nées pour le ciel de la foi dont il donna le spectacle au monde, vivant d’elle seule, rendant au Seigneur, dans tous leurs actes, l’hommage de la confession et de la louange par Jésus-Christ son Fils, et comme Abraham, recevant en retour la bénédiction d’une justice toujours croissante. Le splendide épanouissement de la sainte Église, qui suscite au père des croyants cette nouvelle descendance, s’est encore accentué depuis la chute d’Israël. Dans les contrées les plus reculées, au sein des villes jadis païennes, voyons ces foules nombreuses d’hommes, de femmes et d’enfants quittant comme Abraham [Gen. XII, 1.[]], à la voix du ciel, sinon leur pays, du moins tout ce qui les rattachait à la terre ; confiants comme lui dans la fidélité de Dieu et sa puissance, ils se sont faits étrangers au milieu de leurs proches et dans leurs maisons mêmes, usant de ce monde comme n’en usant pas. Dans le tumulte des cités comme au désert, au milieu des vains plaisirs de ce monde dont la figure passe, ils n’ont d’autre pensée que celle des réalités invisibles, d’autre souci que de plaire au Seigneur. Ils prennent pour eux la parole qui fut dite à leur père : Marche en ma présence, et sois parfait. C’était bien, en effet, à eux tous qu’elle s’adressait dès lors ; c’était la clause de l’alliance conclue par Dieu pour la suite des âges avec ces hommes fidèles, dans la personne du patriarche leur modèle et leur souche ; et Dieu répond de même à leur foi en d’intimes manifestations, ou par la voix plus sûre encore des Écritures, disant : Ne crains pas, je suis moi-même ta récompense immense ! Véritablement donc la bénédiction d’Abraham s’est répandue sur les nations . Jésus-Christ, vrai fils de la promesse, germe unique du salut, a par la foi dans sa résurrection rassemblé de toute race les hommes de bonne volonté, les faisant un en lui, les rendant comme lui fils d’Abraham et, qui mieux est, fils de Dieu. Car la bénédiction promise au début de l’alliance, c’était l’Esprit-Saint lui-même, l’Esprit d’adoption des enfants descendu dans nos cœurs pour faire de tous les héritiers de Dieu et les cohéritiers du Christ. Puissance merveilleuse de la foi qui brise les anciennes barrières de séparation, unit les peuples, et substitue l’amour et la liberté sainte des fils du Très-Haut à la loi d’esclavage et de défiance ! Pourtant ce spectacle grandiose des nations incorporées à la race élue, et devenant participantes en Jésus-Christ des promesses sacrées, n’agrée pas à tous. Le Juif charnel qui se vante d’avoir Abraham pour père sans se soucier d’imiter ses œuvres, le circoncis qui se glorifie de porter en sa chair les marques d’une foi qui n’est pas dans son cœur, ces hommes qui ont renié le Christ renient maintenant ses membres et voudraient repousser ou tronquer son Église. C’est avec rage qu’ils voient de tous les points de l’horizon ce concours immense que leur jalousie mesquine n’a pu arrêter. Tandis que leur orgueil froissé se tenait à l’écart, les peuples s’asseyaient en foule avec Abraham, Isaac, Jacob et tous les prophètes, au banquet du royaume de Dieu ; les derniers devenaient les premiers. Jusqu’à la fin des temps, Israël, déchu par son obstination de son antique gloire, restera l’ennemi de cette postérité spirituelle d’Abraham qui l’a supplanté ; mais ses persécutions contre les fils de la promesse et l’Épouse légitime n’aboutiront qu’à faire voir en lui, comme dit saint Paul, le fils d’Agar, le fils de l’esclave exclue avec son fruit de l’héritage et du royaume. Libre à lui de repousser l’affranchissement que lui offrait le Seigneur, plutôt que de reconnaître l’abrogation définitive de sa loi périmée. Sa haine n’amènera point les fils de l’Église, figurée par Sara la femme libre, à rejeter la grâce de leur Dieu pour lui complaire, à délaisser la justice de la foi, les richesses de l’Esprit, la vie dans le Christ, pour retourner au joug de servitude  brisé à jamais, quoi qu’en ait le Juif, par la croix qu’il dressa au Calvaire. Jusqu’à la fin la vraie Jérusalem, la cité libre notre mère, l’Épouse jadis stérile, maintenant si féconde, opposera aux prétentions surannées et cependant toujours vivaces de la synagogue, la lecture publique de l’Épître qu’on vient d’entendre. Jusqu’à la fin, Paul, en son nom, traitant de la loi du Sinaï signifiée aux hommes qu’elle concernait par l’intermédiaire de Moïse et des anges, fera ressortir son infériorité relativement à l’alliance conclue par Abraham directement avec Dieu ; chaque année, aussi fortement qu’au premier jour, il redira le caractère transitoire de cette législation venue quatre cent trente ans après une promesse qui ne pouvait changer, pour durer seulement jusqu’au jour où paraîtrait ce fils d’Abraham de qui le monde attendait la bénédiction promise. Mais que dire de l’impuissance du ministère mosaïque à fortifier l’homme, à le relever de sa chute ? L’Évangile que nous méditions il y a huit jours donnait de l’inutilité de l’ancienne loi sous ce rapport un symbolique et frappant commentaire, en même temps qu’il affirmait la puissance de guérison résidant dans le Christ et transmise par lui aux ministres de la loi nouvelle. Or, n’oublions pas que cet Évangile était autrefois l’Évangile du jour même où nous sommes. « Tout dans l’Office du treizième Dimanche, dit justement l’Abbé Rupert, se rapporte à l’histoire de ce Samaritain dont le nom signifie le gardien divin, notre Seigneur Jésus-Christ, venant par son incarnation au secours de l’homme que l’ancienne loi n’a pu sauver, et le remettant, quand il quitte la terre, aux soins des Apôtres et des hommes apostoliques dans l’hôtellerie de l’Église. La proximité voulue de cet Évangile jette une grande lumière sur notre Épître, ainsi que sur toute la Lettre aux Galates d’où elle est tirée. Le prêtre et le lévite de la parabole, en effet, c’est toute la loi représentée ; et leur passage auprès de l’homme à demi-mort qu’ils voient, sans chercher à le guérir, marque ce qu’a fait la loi. Elle n’allait point à l’encontre des promesses de Dieu, mais par elle-même ne pouvait justifier personne. Quelquefois le médecin qui ne doit pas venir encore envoie au malade un serviteur expert dans la connaissance des causes de maladie, mais inhabile à composer le remède contraire, et pouvant seulement indiquer à l’infirme les aliments, les breuvages dont il doit s’abstenir de crainte que son mal, en s’aggravant, n’amène la mort. Telle fut la loi, établie, nous dit l’Épître, à cause des transgressions, comme simple surveillante, jusqu’à l’arrivée du bon Samaritain, du médecin céleste. L’homme, en effet, tombé dès son entrée dans la vie entre les mains des voleurs, naît dépouillé de ses biens surnaturels et couvert des plaies que lui a faites le péché d’origine ; s’il ne s’abstient des péchés actuels, de ces transgressions pour l’indication desquelles la loi a été établie, il court risque de mourir tout à fait sans retour ». C’est pourquoi on reprend de nouveau, dans le Graduel, la supplication de l’Introït : Respice, Domine, in testamentum tuum. Car, dit Rupert, c’était la parole des anciens qui, gémissant sous l’infirmité de la loi impuissante du Sinaï, imploraient la consommation de l’alliance promise à la foi d’Abraham. Ils criaient au Christ, comme pouvait le faire au Samaritain libérateur le pauvre blessé qui voyait le prêtre et le lévite passer outre, sans apporter de remède à ses maux.

ÉVANGILE. Le lépreux Samaritain, guéri de sa hideuse maladie, figure du péché, en compagnie de neuf lépreux de nationalité juive, représente la race décriée des gentils admise d’abord comme à la dérobée, et par surcroît, en communication des grâces destinées aux brebis perdues de la maison d’Israël. La conduite différente que tiennent ces dix hommes, à l’occasion du miracle qui les concerne, répond elle-même à l’attitude des deux peuples dont ils sont l’image, en présence du salut apporté au monde par le Fils de Dieu. Elle démontre une fois de plus le principe posé par l’Apôtre : « Tous ceux-là ne sont pas Israélites qui sont nés d’Israël, tous ceux-là ne sont pas fils d’Abraham qui sont sortis de lui ; mais en Isaac, dit l’Écriture, est établie la race qui portera son nom : c’est-à-dire, ce ne sont pas les enfants nés de la chair qui sont les fils de Dieu, mais bien les fils de la promesse, nés de la foi d’Abraham et formant sa vraie race devant le Seigneur. » La sainte Église ne se lasse point de revenir sur cette comparaison des deux Testaments et le contraste offert par les deux peuples. C’est pourquoi, avant d’aller plus loin, nous sentons la nécessité de répondre à l’étonnement qu’une telle insistance ne peut manquer d’exciter en certaines âmes déshabituées de la sainte Liturgie. Le genre de spiritualité qui remplace aujourd’hui chez plusieurs l’ancienne vie liturgique de nos pères, ne les dispose en effet que médiocrement à entrer dans cet ordre d’idées. Accoutumés à ne vivre qu’en face d’eux-mêmes et de la vérité telle qu’ils la conçoivent, mettant la perfection dans l’oubli de tout le reste, il n’est pas surprenant que ces chrétiens ne comprennent aucunement ce retour continuel vers un passé fini, croient-ils, depuis des siècles. Mais la vie intérieure, vraiment digne de ce nom, n’est point ce que ces chrétiens s’imaginent ; aucune école de spiritualité, ni maintenant, ni jamais, ne plaça l’idéal de la vertu dans l’oubli des grands faits de l’histoire qui intéressent à ce point l’Église et Dieu même. Aussi qu’advient-il, trop souvent, de ce délaissement de la Mère commune par ses fils ? C’est que, dans l’isolement voulu de leurs prières privées, ils perdent de vue, par une juste punition, le but suprême de l’oraison qui est l’union et l’amour. La méditation dépouille en eux ce caractère de conversation intime avec Dieu, que lui assignent tous les maîtres de la vie spirituelle ; elle n’est bientôt plus qu’un exercice stérile d’analyse et de raisonnement, où l’abstraction domine en souveraine. Quand Dieu, cependant, voulut manifester son Verbe, en appelant l’homme aux noces divines, il ne recourut point à l’abstraction pour traduire à la terre ce fils de sa substance éternelle que l’homme ne pouvait voir encore directement dans sa divinité. Pareille traduction de l’éternelle Sagesse, où résident dans l’amour toute beauté, toute chaleur et toute vie, eût été plus qu’imparfaite et que froide. Aussi Dieu, selon l’expression de saint Paul, jeta dans la chair ce grand mystère de la piété ; le Verbe fut fait âme vivante ; l’éternelle Vérité prit un corps pour converser avec les hommes et grandit comme l’un d’eux. Et quand ce corps que la Vérité doit garder à jamais fut enlevé dans la gloire, l’Église, Épouse de l’Homme-Dieu, os de ses os, chair de sa chair, continua dans le monde cette manifestation de Dieu par les membres du Christ, ce développement  historique du Verbe, qui ne s’arrêtera qu’au dernier jour, qui surpasse tout raisonnement, et révèle aux anges mêmes sous des aspects nouveaux la Sagesse de Dieu. Assurément un respect profond est dû aux axiomes où l’homme renferme dans un ordre logique, indépendant de l’histoire et des faits, les principes de la science ; mais pas plus en Dieu qu’en l’homme même, la vie ne répond à cette immobilité de raison qui ne ressemble en rien, qu’on se garde de le croire, à l’immutabilité toujours féconde, essentiellement active, de la Vérité substantielle. Or donc, dans l’Eglise comme en Dieu, la vérité est vie et lumière. S’il ne fallait y voir qu’une suite de formules, les accents de son Credo n’éclateraient pas aussi triomphants sous les voûtes de ses temples. S’il force victorieusement les portes du ciel, c’est que tous ses articles ont jusqu’à nous leur sublime histoire : c’est que chaque mot qui le compose se présente au Dieu très haut ruisselant du sang des martyrs ; que de siècle en siècle il rayonne toujours plus de l’éclat des travaux et des luttes glorieuses de tant de saints confesseurs, qui sont l’élite de l’humanité baptisée chargée de compléter le Christ ici-bas. Il nous faut abréger ces considérations. Disons donc de suite qu’après ce grand fait de l’incarnation du Verbe venu en terre pour manifester Dieu dans la suite des âges par le Christ et ses membres, il n’en est point de plus important, il n’en est point qui ait tenu, qui tienne encore davantage au cœur de Dieu, que l’élection des deux peuples appelés par lui successivement au bénéfice de son alliance. Les dons et la vocation de Dieu sont sans repentir, nous dit l’Apôtre ; ces Juifs, ennemis aujourd’hui parce qu’ils repoussent l’Évangile, n’en sont pas moins toujours aimés et très aimés, carissimi, à cause de leurs pères. C’est pourquoi aussi un temps viendra, attendu par le monde, où le reniement de Juda étant rétracté, ses iniquités effacées, les promesses reçues par Abraham, Isaac et Jacob auront leur accomplissement littéral. Alors apparaîtra la divine unité des deux Testaments ; les deux peuples eux-mêmes n’en feront plus qu’un sous le Christ leur chef. L’alliance de Dieu avec l’homme étant dès lors pleinement consommée telle qu’il l’avait voulue dans ses desseins éternels, la terre ayant donné son fruit, le monde ayant atteint son but, les tombes rendront leurs morts et l’histoire cessera ici-bas, pour laisser l’humanité glorifiée s’épanouir dans la plénitude de la vie sous le regard éternel. Rien donc n’est moins suranné que l’ordre d’idées auquel nous ramène de nouveau l’Évangile du jour ; rien n’est plus grand ; et ajoutons, quoi qu’il en puisse sembler à première vue : rien n’est plus pratique, dans cette partie de l’année consacrée aux mystères de la Vie unitive. Qu’est-ce, en effet, que l’union entre Dieu et l’homme, sinon tout d’abord la communauté des sentiments et des vues ? Or, nous venons de le montrer, les vues divines se trouvent résumées tout entières dans l’histoire comparée des deux Testaments et des deux peuples ; le résultat final qui clora l’histoire de ces rapports est l’unique but que poursuivait et que poursuive l’amour infini, au commencement, maintenant et toujours. L’Église donc, loin de se montrer d’un autre âge en revenant continuellement à ces pensées, ne fait que manifester ainsi l’éternelle jeunesse de son cœur d’Épouse à l’unisson toujours de celui de l’Époux. Reprenons brièvement l’explication littérale de notre Évangile, interrompue par cette longue digression. Ici encore donc le Seigneur veut plutôt nous instruire symboliquement, que montrer sa puissance. C’est pourquoi il ne rend pas d’un mot la santé aux malheureux qui l’invoquent, comme il le fit dans une autre circonstance pour un cas semblable »Je le veux, sois guéri, » dit-il un jour à un de ces infortunés qui implorait son secours dans les débuts de sa vie publique, et la lèpre avait disparu aussitôt. Les lépreux de notre Évangile, qui se rapporte aux derniers temps du Sauveur, sont délivrés seulement en allant se montrer aux prêtres ; Jésus les y renvoie, comme il l’avait fait pour le premier, donnant à tous, depuis le commencement jusqu’au dernier jour de sa vie mortelle, l’exemple du respect dû jusqu’au bout à l’ancienne loi non encore abrogée. Cette loi en effet donnait au fils d’Aaron le pouvoir, non de guérir, mais de discerner la lèpre et de prononcer sur sa guérison. Le temps est venu cependant d’une loi plus auguste que celle du Sinaï, d’un sacerdoce dont les jugements n’auront plus pour objet de constater l’état des corps, mais d’enlever effectivement, par le prononcé même de leur sentence d’absolution, la lèpre des âmes. La guérison rencontrée par les dix lépreux avant d’être arrivés aux prêtres qu’ils cherchent, devrait suffire à leur montrer dans l’Homme-Dieu la puissance du sacerdoce nouveau qu’annonçaient les prophètes ; le pouvoir qui surpasse pour eux, en la prévenant ainsi, l’autorité du ministère antique, révèle de soi dans celui qui l’exerce une dignité plus grande. Si, du moins, ils apportaient les dispositions convenables aux rites sacrés qui vont s’accomplir dans la cérémonie de leur purification, l’Esprit-Saint, qui régla autrefois, en vue du moment où ils sont, les prophétiques détails de cette fonction mystérieuse, les aiderait à comprendre la signification du passereau expiatoire dont le sang, versé sur les eaux vives, délivre par le bois l’autre passereau son semblable. Le premier, en effet, c’est le Christ, qui se compare dans le psaume au passereau solitaire ; son immolation sur la croix, qui donne à l’eau la vertu de laver les âmes, communique aux autres passereaux ses frères la pureté du sang divin. Mais le Juif est loin d’être préparé à l’intelligence de ces grands mystères. La loi pourtant lui fut donnée pour le conduire au Christ comme par la main et sans crainte d’erreur  : faveur précieuse qu’il ne méritait point, qu’il devait à ses pères, et d’autant plus inestimable qu’au moment où elle lui fut accordée, la notion du sauveur à venir allait se corrompant toujours plus dans l’esprit des peuples. La reconnaissance eût dû s’imposer à Juda ; l’orgueil prit sa place. L’attache au privilège surmonte en lui le désir du Messie. Il refuse de se faire à la pensée qu’un temps viendra où, le Soleil de justice s’étant levé pour la terre entière, l’avantage fait à quelques-uns durant les heures de nuit s’effacera dans les flots surabondants d’une lumière égale pour tous. Il proclame donc sa loi définitive en dépit d’elle-même, affirmant ainsi l’éternité du règne des figures et des ombres. Il pose en dogme qu’aucune intervention divine n’égalera celle du Sinaï dans l’avenir, que tout prophète futur, tout envoyé de Dieu, ne pourra qu’être inférieur à Moïse, que tout salut possible est dans sa loi et que d’elle seule découle toute grâce. C’est la raison pour laquelle de ces dix hommes guéris par Jésus de la lèpre, il s’en trouve neuf qui ne songent même pas à venir remercier leur libérateur : ceux-là sont juifs, et Jésus n’est pour eux qu’un disciple de Moïse, un instrument des grâces provenant du Sinaï ; la formalité légale de leur purification accomplie, ils se croient quittes envers le ciel. Seul le Samaritain abandonné, le gentil, disposé par sa longue misère à l’humilité qui rend au pécheur la simplicité du regard de l’âme, reconnaît Dieu à ses œuvres et lui rend grâces pour ses bienfaits. Que de siècles d’abandon apparent, d’humiliation et de souffrance, devront passer sur Juda à son tour, pour qu’enfin, reconnaissant lui-même son Dieu et son Roi dans l’adoration, le repentir et l’amour, il entende comme cet étranger tomber de la bouche du Christ les paroles de pardon : Lève-toi et va, ta foi t’a sauvé !

Hâtons de nos vœux le moment si glorieux pour le ciel où les deux peuples, réunis dans une même foi par la conscience des mêmes espérances réalisées, s’écrieront au Christ, comme dans l’Offertoire : Seigneur, j’ai espéré en vous, vous êtes mon Dieu ! C’est l’oblation déposée sur l’autel qui doit nous obtenir de Dieu le pardon du passé et les grâces de l’avenir. Prions-le, dans la Secrète, d’agréer pour le Sacrifice ces dons présentés par l’Église en notre nom à tous. Quand donc les Juifs voudront-ils venir éprouver enfin la supériorité du pain de l’alliance nouvelle sur la manne du Vieux Testament ? Nous gentils, les derniers-venus, qui avons précédé nos aînés au banquet de l’amour, chantons d’autant mieux, dans la Communion, les divines suavités de ce vrai pain du ciel. Comme l’exprime la Postcommunion, l’œuvre de notre rachat par Jésus-Christ s’affirme et croit en nous aussi souvent que nous recourons aux sacrés Mystères. L’Eglise demande pour ses enfants la grâce de cette fréquentation fructueuse des Mystères du salut.

Sainte Rose de Sainte-Marie, Vierge de Lima

Née à Lima en 1586, morte le 24 août 1617. Première sainte du nouveau continent à être canonisée en 1671, sa popularité était telle que Rome avait permis, dès la béatification, la célébration de sa Messe votive dans le monde entier, cas unique dans l’histoire du culte des saints. Mais la fête ne fut inscrite au calendrier au rang de rite double que sous Benoît XIII en 1727 ; la fête de sainte Rose de Lima a réduit au rang de commémoraison celle des deux Martyrs Félix et Adauctus que l’Église de Rome célébrait aujourd’hui.

La première fleur de sainteté de l’Amérique méridionale fut la vierge Rose, née à Lima, de parents chrétiens. Dès son berceau, on vit en elle des marques éclatantes de sa sainteté future, car son visage d’enfant parut un jour transfiguré et comme ayant l’aspect d’une rose, ce qui fut l’occasion de lui imposer ce nom. Dans la suite, la Vierge, Mère de Dieu, y ajouta un surnom, ordonnant de l’appeler Rose de Sainte Marie. A l’âge de cinq ans, elle émit le vœu de virginité perpétuelle. Dans son adolescence, craignant que ses parents ne la contraignissent à se marier, elle coupa secrètement sa superbe chevelure. Adonnée à des jeûnes qui semblent au-dessus des forces de la nature humaine, elle passait des carêmes entiers sans manger de pain, n’ayant chaque jour pour nourriture que cinq pépins de citron. Quand elle eut pris l’habit du Tiers Ordre de saint Dominique, elle redoubla ses austérités, fixa dans un long et très dur cilice de petites aiguilles, et se mit à porter jour et nuit, sous son voile une couronne armée de pointes aiguës. A l’exemple de sainte Catherine de Sienne elle ceignit ses reins d’une chaîne de fer, qui l’entourait d’un triple nœud. Son lit se composait de troncs noueux dont les interstices étaient remplis de têts de pots cassés. Elle se fit construire une étroite cellule dans un coin retiré du jardin ; et là, livrée à la contemplation des choses du ciel, elle exténuait son faible corps par de fréquentes disciplines, des privations de nourriture et des veilles ; mais soutenue par l’esprit, elle sortit victorieusement de nombreuses luttes avec les démons qu’elle méprisait sans crainte et dominait. Cruellement éprouvée par les souffrances de diverses maladies, les insultes de personnes de sa maison, et la calomnie, elle s’affligeait de ne pas souffrir autant qu’elle le méritait. En proie presque continuellement durant quinze années aux peines consumantes de la désolation et de l’aridité spirituelle, elle supporta avec force d’âme ces combats plus remplis d’amertume que toute mort. Après quoi elle commença à connaître l’abondance des joies célestes, à être éclairée par des visions, et à sentir son cœur se fondre sous l’action de séraphiques ardeurs. Favorisée de fréquentes apparitions de son Ange gardien, de sainte Catherine de Sienne et de la Mère de Dieu, elle usait avec eux d’une admirable simplicité, et mérita d’entendre de la bouche du Christ ces paroles : « Rose de mon cœur, sois une épouse pour moi. » Introduite heureusement enfin dans le paradis de cet Époux divin, Rose devint illustre après sa mort comme auparavant par de nombreux miracles, et le souverain Pontife Clément X l’inscrivit solennellement au catalogue des saintes Vierges.

Saints Félix et Adauctus, Martyrs 

« Les saints Félix et Adauctus sont des martyrs du cimetière de Commodille, sur la via Ostiense, dont le martyrologe hiéronymien fait mention en ce jour. Dans leur petite basilique cimétériale, plusieurs peintures votives les représentent. Ces peintures remontent au VIe siècle. Dans l’une d’elles on voit la Vierge Marie assise avec l’Enfant sur ses genoux, Félix est à sa gauche, Adauctus à sa droite. Celui-ci présente à Marie une défunte du nom de Turtura. Le sacramentaire de Vérone donne 7 formulaires de messes pour le natale des saints Adauctus et Félix. L’évangéliaire de 645 et le sacramentaire grégorien connaissent aussi cette fête, qui appartient depuis lors au sanctoral romain ».

Sous le règne des empereurs Dioclétien et Maximien, Félix fut arrêté pour avoir embrassé la religion chrétienne. On l’entraîna dans le temple de Sérapis. Là, au lieu de sacrifier, comme on voulait qu’il le fît, il cracha au visage de l’idole et aussitôt la statue d’airain tomba par terre. La même chose s’étant renouvelée dans les temples de Diane et de Mercure, on accusa Félix d’impiété et de magie, et on le tortura sur le chevalet. Pendant qu’on le conduisait sur la voie d’Ostie, à deux milles de Rome, pour être décapité, il rencontra chemin faisant, un Chrétien qui le reconnut et qui s’écria, en le voyant mener au supplice : « Moi aussi, je vis sous la même loi que lui et j’adore le même Jésus-Christ. » Ayant embrassé Félix, il fut décapité avec lui, le troisième jour des calendes de septembre. Comme les Chrétiens ne savaient point son nom, ils l’ennoblirent de celui d’Adaucte, c’est-à-dire ajouté, parce qu’il s’était adjoint au saint Martyr Félix, pour être couronné avec lui.

Saint Fiacre, Confesseur

Saint Fiacre, fils d’un roi d’Écosse, vivait au VI° siècle; il fut élevé dans la science et la piété par des maîtres habiles. Jeune encore, il sentit son âme enflammée par l’amour de la solitude et le désir de ne vivre que pour Dieu. Il s’embarqua pour la France, à l’insu de son père, et se choisit, près de Meaux, un lieu retiré, dans une forêt, où l’évêque lui concéda une portion de terre. Saint Fiacre y bâtit un couvent, qu’il consacra à la Sainte Vierge, à laquelle il avait voué dès son enfance, une dévotion singulière. Là il mena une vie angélique, tant par son application à Dieu que par la pratique de la plus rude mortification et le soin de subjuguer les moindres saillies des passions mauvaises. Sa sainteté ne manqua pas d’attirer en foule vers lui les pauvres et les pèlerins. Fiacre mangeait peu et employait presque tout le produit du travail de ses mains à la subsistance de ses pieux visiteurs. On lui amenait des possédés et des malades, et il les délivrait ou les guérissait en grand nombre. Cependant le petit terrain qu’il occupait étant devenu insuffisant pour subvenir à tant d’aumônes et à une si généreuse hospitalité, Fiacre fut obligé d’implorer de l’évêque une nouvelle concession de terre, et le prélat lui permit de prendre et d’utiliser tout ce qu’il pourrait entourer d’un fossé dans l’espace d’une journée. Chose merveilleuse, Dieu vint au secours du travailleur: la terre se fendait d’elle-même comme par enchantement, et un seul jour suffit au Saint pour entourer une étendue considérable. C’est sans doute à cause des travaux de jardinage dont il occupait les loisirs que lui laissaient la prière et le service de Dieu, que saint Fiacre est regardé comme le patron des jardiniers.

Tandis qu’il jouissait tranquillement des délices de la solitude, des envoyés écossais vinrent lui offrir la couronne royale, dont son frère s’était rendu indigne. Fiacre avait eu révélation de leur approche et obtint de Dieu, à force de larmes et de prière, de ne pas permettre qu’il sortît de sa chère solitude pour être exposé aux dangers des honneurs du monde. Il devint aussitôt semblable à un lépreux. Quand les ambassadeurs furent arrivés près de lui, ils ne purent voir sans horreur ce visage défiguré, et ils n’eurent plus aucun désir de le faire monter sur le trône de ses pères. Fiacre mourut dans son ermitage; il opéra de grands miracles après sa mort.

Martyrologe

 Sainte Rose de Sainte-Marie, du Tiers-Ordre de saint Dominique, vierge, dont l’anniversaire est mentionné le 9 des calendes de septembre (24 août).

A Rome, sur la voie d’Ostie, la passion du bienheureux prêtre Félix, sous les empereurs Dioclétien et Maximien. Tourmenté d’abord sur le chevalet, il fut ensuite condamné à mort; comme on le menait au lieu où il devait être décapité, un chrétien venant au-devant de lui déclara ouvertement qu’il était lui-même chrétien, et eut pareillement la tête tranchée. Les fidèles, qui ignoraient son nom l’appelèrent Adaucte (c’est-à-dire « ajouté ») parce qu’il avait été ajouté à saint Félix, pour recevoir la couronne.

A Rome encore, sainte Gaudentie, vierge et martyre, avec trois autres martyrs.

A Colonia-Sufetula, en Afrique, soixante bienheureux martyrs, mis à mort par des païens furieux.

A Bologne, saint Bonône abbé.

A Rome, saint Pammaque prêtre, remarquable par sa science et par sa sainteté.

A Adrumète, en Afrique, les saints Boniface et Thècle, qui furent les parents des Douze Frères martyrs.

A Thessalonique, saint Fantin confesseur. Il eut beaucoup à souffrir des Sarrasins, qui le chassèrent de son monastère, où il avait vécu dans une abstinence admirable. Après avoir conduit un grand nombre d’âmes dans la voie du salut, il s’endormit dans une heureuse vieillesse.

Au diocèse de Meaux, saint Fiacre confesseur.

A Trévi, en Latium (auj. l’Ombrie), saint Pierre confesseur, qui brilla par ses vertus et ses miracles. C’est de ce lieu, où il est dignement honoré, qu’il s’en alla vers le Seigneur.

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