Ancien directeur-général de la DGSE, Pierre Brochand s’inquiète des problèmes posés par l’immigration. Lors d’un colloque de la Fondation Res Publica sur le thème : « Pour une véritable politique de l’immigration », il explique sont point de vue.
L’immigration, telle qu’on l’a laissée se développer depuis un demi-siècle, n’est évidemment pas le seul défi auquel est confronté notre pays. Mais, si je le considère comme le plus redoutable, c’est pour au moins deux raisons. La principale tient à ce que, il réinjecte les conflits «non-négociables» – religieux, raciaux, coloniaux – , que la France pensait avoir dépassés depuis longtemps : 1905, 1945, 1962, selon les cas.
[…] La lucidité nous oblige d’en revenir à des constats, présumés révolus. À savoir qu’il existe, entre les hommes, des différences que ni le contrat, ni la monnaie, ni le dialogue, et encore moins le «patriotisme constitutionnel», ne parviennent à aplanir et que ces différences peuvent remettre en cause la paix civile, en particulier dans une société qui, se croyant immunisée, est aveugle à ce danger.
[…] C’est au nom de cette vision tronquée que les immigrants sont accueillis, tels des êtres solitaires, dotés des mêmes droits souverains que les autochtones et assimilés. Ce qui n’empêche pas les intéressés, à peine installés, de reconstituer les «communautés hétéronomes», voire les «nations problématiques», qui étaient les leurs auparavant et que le passage d’une frontière factice n’a pas suffi à leur faire oublier. […]Parlons franc. Attirés en France sur la base des droits accordés par la Société des individus, une part significative des immigrés ne se reconnaît pas en elle. Non seulement n’ont-ils, par définition, pas suivi le même cheminement historique que les natifs, non seulement sont-ils épargnés par le discours culpabilisant réservé à ces derniers, non seulement ce discours leur accorde, en miroir, un statut inconditionnel de persécutés, mais ils arrivent encombrés de lourds bagages, dont ils n’entendent pas se débarrasser. […]
En somme, les immigrés extra-européens importent du «plein» collectif, là où la Société des individus ménage du «vide» individuel. […] Le pire est que s’en trouve affecté ce socle minimal de la vie commune qu’est la confiance sociale, fondement de tout altruisme et même de toute coopération au-delà de la cellule familiale.
[…] Est-il raisonnable de penser que des comptables scandinaves et des guerriers pachtounes, des ouvriers britanniques et des pasteurs somaliens, sont aptes à faire société, vivre en harmonie, encourager le métissage de leurs enfants? Je réponds non, mais les dogmes en vigueur ne cessent de nous susurrer, tel le souffleur du théâtre, qu’il faut répondre oui.
Quand les seuils de «tolérance» ( dixit François Mitterrand! ) sont dépassés, comme ils le sont à l’évidence sur certaines portions du territoire, ce qui doit arriver arrive. Un enchaînement désastreux – partout le même – se met en place invariablement. La «distance culturelle», avivée par la proximité physique, provoque la défiance. Chacun vote avec ses pieds. La séparation s’installe. Les frontières, relativisées à l’extérieur, se reconstituent, en plus dur, à l’intérieur. Des centaines d’enclaves se forment en «peau de léopard». Des luttes brutales s’engagent pour leur contrôle.
[…] Mais, alors, comment ne pas voir se dessiner les signes d’une inquiétante contre-colonisation ? Car ce qui distingue le colon, c’est qu’il importe son modèle de société à la semelle de ces souliers, avec l’intention de le recréer, alors que l’immigré classique se contente de rechercher une vie meilleure dans une société à laquelle il lui faut s’adapter.
Est-il vraiment sérieux de prétendre agir contre le communautarisme, le séparatisme, l’islamisme, la partition, la sécession, que sais-je encore, sans même examiner la possibilité de réduire l’immigration ( «containment» ) et les «stocks» diasporiques qu’elle a contribué à accumuler ( «roll back» ) ?
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