Le téléfilm « Le Visiteur » (The Catholics, the Conflict) de Jack Gold (1974), a été diffusé une seule fois en France, lors de l’émission les « Dossiers de l’écran » en date du 14 septembre 1976, soit voici près de 43 ans !

Ce Téléfilm rare raconte la visite canonique de pauvres moines irlandais revenant à la « messe en latin», tandis que le reste de leur ordre est devenu entièrement moderniste et œcuménique après… Vatican IV !

Ci-dessous, version intégrale du téléfilm

en VO sous-titrée en français

Il s’agit d’une fiction, mais avec des dialogues étonnement prophétiques, et qui sonnent assez justes.
Hugues Kéraly a présenté une critique de ce film « Le Visiteur » dans la revue « Itinéraires » n° 203 p. 132.

Nous reproduisons l’article en question :

Le Visiteur (The Catholics, the Conflict) de Jack Gold (1974)

« An de disgrâce 1999. Le concile Vatican IV vient de fermer ses portes ; et d’ouvrir, toutes grandes, celles de la fin du monde. Rome en effet, passant des discours aux actes, a consacré l’apostasie des nations chrétiennes. Fermé Lourdes. Interdit, à jamais, l’usage de la langue liturgique. Aboli celui de la confession privée. Défini officiellement l’Église structure révolutionnaire au service du tiers-monde . Rayé enfin des mystères de la foi le dogme de la présence réelle et celui de la divinité du Christ, que le concile laisse survivre, pure charité œcuménique, à titre de dévotion particulière. La messe dominicale n’est plus qu’un rite symbolique, essentiellement communautaire, qui consiste à palabrer en rond en pressant avec force la main de son voisin, et, chez les plus pratiquants, le yoga a remplacé la récitation du chapelet.
Dans le bureau du supérieur général des moines albanésiens, le jeune père James Kinsella, visiteur en titre de la congrégation, est venu aux consignes. Il y a une tache dans l’Ordre. Un ersatz. Une contradiction. Vous aviez déjà deviné : un monastère, oui ; un monastère récalcitrant. Comme d’autres aux premiers temps de la grande Rénovation Liturgique, la communauté de l’île de Nork, en Irlande, a conservé les règles de vie monastique, la foi, et la messe de toujours. Pour comble de scandale, la télévision anglaise s’est transportée sur l’île. Depuis, chaque dimanche, des vieux-croyants de tous âges, accourus en vols charters du monde entier, assistent à l’office célébré sur la côte par les moines, le dos au peuple, face au Tout-Puissant des mythologies antéconciliaires ; et le monde entier a pu les voir se prosterner impunément, tournés vers l’autel, la mer immense et la croix de Jérusalem image vivante du fanatisme mystique condamné depuis le pape Jean et Vatican III (Proclamation liminaire, § 1-2). Certains même en profiteraient pour se confesser…
Le supérieur de l’Ordre, un trémolo vaguement nostalgique dans la voix, dévoile au père Kinsella, né en 1973, les sonorités de ces incantations étranges : Introibo ad altare Dei – Ad Deum qui laetificat juventutem meam. Surtout, qu’il n’aille pas se tromper de secte… Et il donne pleins pouvoirs à son visiteur pour réduire l’obstination rayonnante du père abbé, et stopper net la vague de contagion :
Faites descendre ce vieil idiot de sa montagne, James, et s’il résiste – mordez-le ! C’est que le supérieur de l’Ordre doit présider très prochainement le congrès d’unification pastorale des églises catholique et bouddhiste. La télévision, qui ne respecte rien, pourrait ressortir l’affaire de Nork. Le père abbé a donc trois jours pour rendre sa charge, ou céder.
*
Pure fiction ? Naturellement. Le jour où Pierre fera mentir du haut de sa chaire la parole du Christ, toute Église visible ne pourrait que s’effondrer avec lui dans ce reniement d’Apocalypse, pour comparaître séance tenante au jugement de Dieu. Et la question de l’obéissance à Rome s’évanouirait, en même temps que l’histoire…
Le scénario que nous venons de camper est celui du dernier film de Jack Gold, Le Visiteur , qui affiche d’entrée sa maladresse et son ignorance vis-à-vis du problème abordé. Car il est aujourd’hui dans le monde quelques îlots de croyance et de vraie fidélité apostolique, que la vindicte post-conciliaire poursuit de toutes sortes de visiteurs et de persécutions ; qu’elle prétend rallier, contre l’enseignement de la foi, au marécage de l’humanisme contemporain, noyer dans le torrent de sa propre autodémolition – au nom précisément de l’obéissance chrétienne. Quel intérêt, par suite, de prophétiser pour 1999 un drame dans lequel le peuple de Dieu se perd déjà depuis une bonne dizaine d’années ? Et quel non sens surtout, d’y incorporer l’intervention de deux conciles si solennellement hérétiques que la question même
de la foi en l’Église ne pourrait plus se poser.
L’incohérence de Jack Gold, dans ce film de cauchemar, vient nous confirmer une fois de plus l’obscurité maléfique des temps : le caractère humainement inacceptable, incompréhensible, incommensurable, des persécutions de la foi dans l’Église d’aujourd’hui. La véritable histoire du Visiteur , nos lecteurs le savent, autrement bouleversante que celle du film, a déjà eu lieu. Elle se répète, elle se continue sous nos yeux, acte après acte, sur la voie prophétique et mystérieuse ouverte par Notre Seigneur en sa passion. Tellement prophétique que l’univers chrétien ne la reconnaît pas. A ce point mystérieuse qu’un cinéaste s’y aventure en sourdine, et préfère croire à une fiction !
Jack Gold pourtant avait sous la main toute la matière requise pour faire du Visiteur le film le plus exceptionnel et sans doute le plus important de l’année… Un monastère roman du XIIe siècle, dans une Irlande sereine, sauvage, magnifique, comme prédestinée à la réaction. Des figurants du cru, qui n’ont guère eu besoin de se forcer pour rendre manifeste à l’écran leur attachement aux traditions paternelles, et spécialement à la messe catholique traditionnelle, latine et grégorienne, selon le Missel romain de saint Pie V. Un visiteur (Martin Sheen) parfaitement à l’aise dans sa conciliaire incroyance, et si bien américanisé que le passeur le prend pour un journaliste, refusant tout net de le mener sur l’île : il y arrivera en hélicoptère, symbole de la modernité romaine. Des moines, une cohorte de moines fanatiques à souhait – il faut bien cela pour le rester, après Vatican IV – qui ne dissimuleront pas un instant au visiteur leur hostilité : Que voulez-vous, marmonne le supérieur en guise d’excuse, ils ont appris dans leur enfance que mentir est un péché et, depuis ils s’efforcent de dire à chacun la vérité. Enfin, une belle figure de père abbé – Trévor Howard, irremplaçable dans ce genre de rôle grave et dur au cinéma.
Hélas, dans notre film, le personnage qu’il incarne n’est solide qu’en apparence – et j’en arrive au point crucial de cette sombre histoire, où la balourdise magistrale de Jack Gold se fait carrément insultante pour le présent. Le dialogue entre le visiteur et le père abbé s’engage en effet sur un ton, et des sujets, qui n’ont rien de futuristes. Qu’on en juge sur ces quelques extraits, où nous citons de mémoire ce qui nous a le plus frappé.
… Le père abbé : La lettre du supérieur général vous donne toute latitude pour m’exclure de l’Ordre aujourd’hui même, et sans appel. Aurais-je été occasion de scandale, pour me voir jugé comme un hérétique ?
– Le visiteur : N’exagérez pas les choses … De nos jours, voyons, comment définir une hérésie ?
– Le père abbé, amer : Voici une définition. L’orthodoxie d’hier est devenue l’hérésie d’aujourd’hui.
… Le visiteur : Vous faites chanter la messe en latin, face à l’autel, selon les mythes d’autrefois. Comme si tout cela était compatible avec nos engagements actuels dans le monde. Notre révolution en Amérique latine. Notre combat contre toutes les formes d’ordre établi.
– Le père abbé : C’est que votre nouveau rituel n’a plus aucun mystère, ni aucune beauté. Les gens ne s’y trompent pas. Voir pourquoi ils viennent prier ici… Et nous devrions, à cause d’un congrès avec les bouddhistes a l’autre bout du monde, renoncer à la célébration de la messe ?

… Le visiteur : Vatican. IV a formellement proscrit le rite de la confession individuelle – sauf en cas de péché très grave contre les hommes ou l’histoire. Vous devriez le savoir.
– Le père abbé : Pour les gens d’ici, tous les péchés sont graves… A votre avis, comment pourrais-je les empêcher de croire que le péché tue l’âme ?
Les réponses du moine sont d’assez belle tenue. Cependant, on l’aura noté, elles ne laissent pratiquement rien voir de ses convictions intimes. Sauf qu’il respecte assez la foi des Irlandais pour maintenir vivante sur l’île la tradition des cinquante-deux abbés de Nork enterrés dans le monastère ; et que, par éducation ou tempérament, il préfère le chant grégorien, au negro spiritual, les beautés séculaires du rituel latin aux bavasseries de l’humanitarisme post-conciliaire.
C’est déjà quelque chose. Mais c’est bien tout. Car – pour lui – l’abbé a perdu la foi, et depuis longtemps, comme il finit par en faire l’aveu au visiteur interloqué : Écoutez-moi. Je n’ai pas agi par conviction, mais par manque de conviction… J’ai essayé de prier pourtant. Mais voilà, je ne crois plus qu’il y ait de Père aux cieux. Et lorsque je contemple l’autel où officient les moines, je sais qu’il n’y a rien derrière… Depuis des années, je vis l’enfer d’un prêtre privé de Dieu… Ne m’interrogez plus. Voici ma lettre de démission, pour le supérieur général.
Aux yeux du visiteur de Rome, qui ne tire plus ses mains des poches devant le Saint-Sacrement, l’athéisme du père abbé n’est pas un motif suffisant pour l’obliger au départ. Mais il va bien lui faciliter les choses… L’abbé de Nork, n’est-ce pas, reste attaché aux gestes de la vie monacale, que son âme n’habite plus, par esprit d’hygiène et pure sentimentalité ; plus conservateur que réactionnaire, il n’a rien d’un fanatique de la foi, et pas la moindre vocation au martyre ; cet homme n’aspire, en fin de compte, qu’à finir ses jours sur l’île…
– Accordé, bon père. Rome ne vous demande pas de croire en Dieu, nous ne sommes plus sous Pie XII. Seulement d’ordonner la discussion dominicale en anglais et face au peuple, selon les dispositions du dernier ordo, au prochain passage de la caméra… Vous seul d’ailleurs avez l’autorité requise, dans ce pays, pour l’imposer… En échange, tenez, vous et vos moines pourrez garder l’habit, en semaine. Et même votre bon vieux benedicite latin, dans le secret du réfectoire. Au fond, nous sommes assez tolérants, vous savez…
*

Ce qui fut dit fut fait. L’abbé de Nork, pour conserver le poste, s’engagea sans trop de peine à lâcher la messe. Il parvint même à imposer cet abandon, séance tenante, aux plus bouillants de ses novices, qui avaient organisé une vigile à la Vierge pendant toute la durée de l’interrogatoire, et passé trois jours à genoux dans la chapelle, les bras en croix, pour obtenir la conservation du Saint Sacrifice. C’est ce renoncement final, cette misérable conclusion, que notre confrère Pierre d’André, dans sa chronique de L’Homme Nouveau, qualifie au passage de remarquable exemple de mise en pratique de la vertu d’obéissance ( ). Sic.
On se demandera peut-être pourquoi un Jack Gold a gâché tant de maîtrise cinématographique (et d’argent) pour tourner une histoire à laquelle lui-même croit si peu qu’il en a grossièrement détourné le sens, émasculé le drame, et truqué d’avance le dénouement. Plus inquiétante semble la réaction de ce bon chrétien qui trouve remarquable , de la part d’un prêtre, de troquer le Sang de Notre Seigneur pour le confort de sa retraite et de ses relations avec le Vatican. Un prêtre qui ne croit plus à la rédemption, il est vrai ; sans quoi il aurait certainement choisi de se sacrifier, lui, plutôt que la messe. Mais cela montre où peut mener aujourd’hui le chantage à l’obéissance, quand il est subi par les chrétiens sans référence véritable au mystère de la foi et aux enseignements pourtant lumineux de la tradition. »
Hugues Kéraly

Louis Saint Viator

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