Le magazine français La Tribune de l’Art, ayant pour objet l’actualité de l’histoire de l’art et du patrimoine occidental du Moyen Âge aux années 1930, vient de publier un article intéressant au sujet de la charpente de Notre-Dame-de-Paris et de sa reconstruction :

« Charpente de Notre-Dame : et si on écoutait les scientifiques ? »

Il remet à leur place, en dénonçant leurs absurdités, tous les « starchitectes » qui se sont « immédiatement précipité sur le chantier comme la misère sur le pauvre monde » et tous ces « gens qui n’y connaissent rien mais se sont soudainement décrété experts, à moins qu’ils voient dans le chantier à venir un gros gâteau à se partager dont la restauration en bois de la charpente à l’identique viendrait les priver ».

L’article est également une charge contre le gouvernement puisqu’il plaide « sur la nécessité de prendre son temps. De laisser faire les spécialistes, de ne rien décider dans la précipitation. Soit l’inverse de ce que fait aujourd’hui le gouvernement » :

« Contrairement à beaucoup, notamment de nombreux hommes politiques, nous essayons de ne pas écrire n’importe quoi à propos de Notre-Dame, surtout sur un sujet auquel nous ne connaissons rien. C’était le cas de la charpente. Entre ceux qui décident déjà qu’il ne faut surtout pas refaire la charpente à l’identique, ceux qui disent que c’est impossible et ceux qui le souhaitent, comment décider qui a raison sans arguments techniques et historiques ? Pourtant, bien peu sont restés prudents à ce sujet. Pour notre part, nous nous sommes bien gardés d’écrire qu’il était impossible de refaire une charpente à l’identique car nous n’en avions aucune idée.

Nous avions raison, car nous aurions sans doute écrit beaucoup d’âneries. Et c’est grâce à l’Association des scientifiques au service de la restauration de Notre-Dame de Paris, créée au lendemain de l’incendie et qui réunit un grand nombre de spécialistes indiscutables, que nous pouvons désormais démontrer les absurdités que l’on a entendues ici ou là.
L’article qu’ils viennent de publier sur leur site est intitulé « La charpente de Notre-Dame de Paris : état des connaissances et réflexions diverses autour de sa reconstruction ». Son auteur est Frédéric Epaud, chercheur au CNRS, qualifié par ses pairs d’« éminent spécialiste de la charpenterie médiévale », qui se base sur les plus récents relevés architecturaux faits sur la cathédrale (en 2015), sur un mémoire sur la dendrochronologie réalisée en 1995 et sur un « relevé complet et précis de la charpente » effectué en 2014.

Le contenu en est très riche. Il se base à la fois sur les études citées ci-dessus et sur « les études des autres grandes charpentes du XIIIe siècle  ». Nous retiendrons ici pour l’instant trois faits qui contredisent absolument ce qui a pu être dit un peu partout par des gens qui n’y connaissent rien mais se sont soudainement décrété experts, à moins qu’ils voient dans le chantier à venir un gros gâteau à se partager dont la restauration en bois de la charpente à l’identique viendrait les priver.


1. Le séchage du bois avant de l’utiliser pour la charpente nécessiterait des mois voire des années. Écoutons Jean- Michel Wilmotte, l’un de ces « starchitectes » qui s’est immédiatement précipité sur le chantier comme la misère sur le pauvre monde : « rien que pour sécher le bois, cela impliquerait un stockage sur des années ».

C’est faux. Comme l’explique Frédéric Epaud : « les bois utilisés dans les charpentes médiévales ne furent jamais séchés pendant des années avant d’être utilisés mais taillés verts et mis en place peu après leur abattage ».

2. Les arbres nécessaires à la reconstitution de la forêt provenaient de « forêts primaires » qui n’existent plus. Cette affirmation, qui a été largement reprise, semble provenir à l’origine d’une phrase prononcée par Bertrand de Feydeau, vice-président de la Fondation du Patrimoine : « nous n’avons plus sur notre territoire d’arbres d’une taille telle que ceux qui ont été coupés au XIIIe siècle et qui constituaient ce qu’on appelle la forêt primaire ». Remarquons que celui-ci a été maître d’ouvrage de la restauration du collège des Bernardins (voir notre article) avec pour maître d’œuvre… Jean-Michel Wilmotte.

C’est faux. Écoutons Frédéric Epaud : « outre leur faible diamètre, la majorité de ces chênes [formant la charpente] étaient jeunes, âgés en moyenne de 60 ans avec des croissances rapides ».

3. Il faudrait une quantité énorme de bois, ce qui n’est pas écologique et dévasterait des forêts entières. Écoutons là encore Jean-Michel Wilmotte qui avance le chiffre de 22 hectares de forêt, mais d’autres étaient encore plus alarmistes.

C’est faux. Comme le rappelle Frédéric Epaud (et nous le citons ici in extenso) : « L’abattage de 1000 chênes ne représente pas un inconvénient puisque le pays dispose de la plus grande forêt d’Europe avec 17 millions d’ha de forêts dont 6 millions en chênaies, en constante augmentation depuis des années. Le prélèvement ne se ferait certainement pas par coupe rase comme on l’avait souvent répété puisque les futaies actuelles sont différentes de celles du XIIIe siècle (dont 3 ha suffisaient) et que ces « petits » chênes sont dispersés dans les peuplements actuels. Leur abattage se ferait donc par furetage avec des coupes individuelles ciblées au sein des futaies, limitant ainsi l’impact écologique sur les écosystèmes forestiers. Rappelons que la fabrication du bateau L’Hermione a prélevé par furetage 2000 chênes, soit le double que pour Notre-Dame, sans que cela n’ait causé le moindre souci environnemental. »

4. La reconstitution d’une charpente en bois serait beaucoup trop longue. « Si on veut utiliser un système traditionnel, ce sera bien plus que cinq ans » affirme ainsi, encore lui, Jean-Michel Wilmotte.

C’est faux. Selon Frédéric Epaud : « Le temps nécessaire à la réalisation d’une charpente à chevrons-formant-fermes est connu et n’est pas si important que l’on imaginerait. La construction de la charpente du XIIIe siècle de la cathédrale de Bourges aurait réclamé seulement 19 mois de travail pour une équipe de 15-20 charpentiers, de l’équarrissage des 925 chênes au levage des fermes. »
Cela ne constitue évidemment qu’un élément de la restauration à mener, et seulement une fois que les travaux pourront commencer, c’est-à dire raisonnablement pas avant deux ou trois ans minimum.

Il est donc possible de refaire une charpente à l’identique (ou en partie à l’identique). La question désormais est de savoir si cela est souhaitable. Nous n’avons pour notre part, et pour l’instant, aucune opinion à ce sujet. Nous avons entendu pourtant à ce sujet beaucoup de choses, notamment que le bois n’était pas un matériau « moderne ». Or de très nombreux architectes affirment que c’est le contraire qui est vrai (et ils ont raison, le retour du bois en architecture nous avait frappé depuis quelque temps), qu’on construit désormais beaucoup en bois et qu’il s’agit bien d’un matériau contemporain.
La question semble maintenant plutôt porter sur les risques : la structure peut-elle encore supporter le poids d’une telle charpente ? Celle-ci ne sera-t-elle pas une nouvelle fois trop dangereuse du point de vue de l’incendie ? Veut-on voir à nouveau une charpente en bois flamber ? Mais personne, à ma connaissance, ne s’est intéressé aux précautions « modernes » qu’il est peut-être possible de prendre pour une hypothétique nouvelle charpente en bois, ni sur les risques d’incendie et d’écroulement que pourraient présenter aussi d’autres matériaux. On parle beaucoup du métal. Mais sait-on, par exemple, que la nef du Grand Palais, construite en métal, présente ou au moins présentait [1] une résistance au feu absolument dérisoire ?

Tout cela plaide, une fois de plus, sur la nécessité de prendre son temps. De laisser faire les spécialistes, de ne rien décider dans la précipitation. Soit l’inverse de ce que fait aujourd’hui le gouvernement.

Didier Rykner

Notes

[1] C’était le cas lorsque nous avons enquêté sur la question des risques incendie dans ce monument, qui n’a finalement pas débouché sur un article. »

Francesca de Villasmundo

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