Ce livre a une saveur très particulière car il est le fruit d’une longue collaboration pour mettre en valeur le travail d’analyse de Valérie Bugault. Les choses commencent souvent par un premier pas, une première pierre en l’occurrence ici un premier mail.
L’auteur nous a fait confiance pour nous confier ses textes et nous lui avons fait confiance pour la publier sans vraiment connaître la richesse qui allait venir ensuite. Je crois que personne n’a été déçu et surtout pas vous, les lecteurs. Il y a toujours une part d’incertitude qu’il faut savoir saisir.
Ce qui n’est pas incertain c’est la teneur du livre. Il s’agit d’un reprise sous forme de livre des textes de Valérie Bugault publiés depuis 2016 notamment sur ce site. La lecture sur un blog permet souvent de découvrir un auteur, mais, à mon sens, rien ne vaut un livre pour prendre le temps de comprendre sa pensée déployée sur quelques centaines de pages et de parcourir pendant quelques jours un bout de chemin avec lui.
On peut remercier aussi l’éditeur, les éditions Sigest qui lui aussi accompagne cet auteur depuis 2 ans avec 3 livres parmi beaucoup d’autres auteur. En achetant ce livre, en plus de vous cultiver et de vous informer, vous soutenez un auteur engagé et un écosystème qui permet à des idées alternatives d’exister. Vous pouvez enfin profiter de la préface du Général Delawarde qui résume assez justement la teneur du livre et sa structure.
Valerie Bugault appuie ses analyses du système économique occidentaliste, du contrôle de la monnaie et de la transformation du droit, colonisé progressivement par une vision anglo-saxonne et/ou judéo-protestante. Vous y retrouverez ses textes organisés en 3 parties plus une.
- un vaste tour du panorama économique
- une synthèse autour de la question monétaire
- et la dégradation du droit
La dernière partie est une proposition radicale de transformation du modèle de société promu par le Système pour revenir vers le respect des lois naturelles et un rééquilibrage du rapport de force entre les apporteurs de travail et les apporteurs de capitaux.
Je ne résiste pas au plaisir d’une petite citation qui résume assez habilement le travail de Valérie Bugault, une exigence technique et une mise en perspective des enjeux de société pour ne pas dire de civilisation :
Le libre-échange organise au niveau mondial un pur schéma de prédation économique qui a tôt fait de se transformer en prédation politique, géopolitique et civilisationnelle. Cette prédation ultime est une conséquence mécanique de la prédation économique qui génère spontanément une énorme concentration de capitaux. Les très grandes entreprises, dirigées par leurs actionnaires majoritaires, prennent le contrôle institutionnel des États au moyen du libre-échange. …
Au-delà de la destruction des États, la liberté totale du commerce a pour conséquence sociologique d’engendrer une déstructuration profonde des sociétés humaines traditionnellement fondées sur un ancrage géographique et sur l’affection filiale et intergénérationnelle. Elle a également pour effet – à moins que ce ne soit un objectif ? – de détruire l’intégrité du corps humains, ravalant l’Homme au rang de bien matériel. Le libre-échange préfigure un monde dans lequel les classes financièrement inférieures seront reléguées au rang de fournisseur de pièces de rechange corporelles pour les plus riches.
Interview de Valérie Bugault du 15 avril 2019
Valérie Bugault est docteur en droit de l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne. à l’occasion de sa thèse portant sur le droit de l’entreprise, elle a élaboré une théorie juridique unifiée, qualifiée « d’iconoclaste », de l’entreprise. Elle a travaillé comme avocate fiscaliste dans le domaine des prix de transfert ainsi qu’en droit fiscal interne avant de cesser sa carrière d’avocate pour se consacrer à l’analyse des problématiques de géopolitique économique.
Saker Francophone : Quelle est l’histoire de ce livre ? Est-ce à dire que vos idées ont une vie en dehors d’internet ?
VB : L’histoire de ce livre est, en quelque sorte, l’histoire de ma vie. Le travail, d’abord relayé par le Saker Francophone à partir du début de l’année 2016 et désormais disponible sur papier – grâce aux éditions Sigest – a techniquement commencé en 1995, lorsque j’ai entrepris de faire une thèse de droit sur l’entreprise. Mais ce « travail » remonte à bien plus loin puisque ma thèse est en réalité le fruit d’une histoire personnelle et familiale. Cette histoire individuelle est elle-même imbriquée dans l’histoire de ce qu’est devenue « la France », ou plutôt « l’afrance ». Mon histoire familiale est liée à l’histoire de France récente car elle a suivi, et peut-être même précédé, les méandres des rapports de force qui ont abouti à la disparition de l’autonomie économique et décisionnelle des prétendus « décideurs politiques » qui ont succédé au général De Gaulle ; replongeant la France dans les remugles de la primauté des intérêts privés des dominants économiques au détriment de l’intérêt collectif et général. De sorte qu’aujourd’hui, la question politique ne se pose plus tant en termes « riches contre pauvres » qu’en termes « individuel contre collectif », ou « intérêt catégoriel contre intérêt commun ».
Lorsque j’ai engagé mon travail de thèse, mon objectif était de trouver une organisation politique de l’entreprise qui fasse échapper cette dernière à l’emprise létale des banques et du système financier en général. Il se trouve qu’à l’époque, je n’étais pas particulièrement informée du vaste mouvement de la « participation » entrepris et porté par le Général De Gaulle pour réformer le marais politico-économique, mouvement qui a finalement eu raison de lui. Par la suite, j’ai pu approcher la tendance sociale de l’entreprise considérée sous l’angle de la participation et j’ai découvert, avec une sorte de stupeur, la corrélation quasi parfaite de ma thèse avec ce que prônaient les « tenants de la participation », René Capitant – agrégé de droit, à l’origine de la création des Comités d’Entreprise 1 -, Louis Vallon – normalien et polytechnicien – en tête, soutenus par des gens comme Alfred Sauvy – professeur au Collège de France.
Cette réforme de l’entreprise, envisagée depuis l’époque de la Résistance, n’a malheureusement pas été entérinée par le Conseil National de la Résistance qui a pourtant beaucoup œuvré en France pour le rétablissement d’un ordre politique. En particulier, le CNR a, pour la première fois, nationalisé la Banque centrale (Banque de France) ainsi qu’un certain nombre de banques privées ; il a également créé un ensemble d’institutions protectrices des français que je ne détaillerai pas ici. Nous lui devons aussi l’instauration du circuit du Trésor et l’instauration générale du système de crédit dirigé (voir, sur cette question, les excellentes vidéos faites par Solidarité et Progrès de Jacques Cheminade), qui ont permis à la France une réappropriation temporaire de sa monnaie et donc, par voie de conséquence, de son indépendance politique. Il faut bien comprendre qu’aucune décision politique favorable au bien commun n’aurait pu être mise en œuvre par le CNR si l’effort de réappropriation politique de la monnaie n’avait pas eu lieu.
Pour en revenir à l’entreprise, la réforme générale de l’entreprise était, de facto sinon de jure, en adéquation avec les travaux du catholique Albert de Mun ainsi qu’avec les prises de position du pape Léon XIII lors de l’encyclique Rerum novarum du 15 mai 1891, qui dota l’église d’une doctrine sociale. Des chefs d’entreprises, tel François Sommer et son livre « Au-delà du salaire », étaient également favorables à ce vent de régénérescence économique, sorte de troisième voie entre le communisme et le libéralisme. De Gaulle répondra en 1966 à l’auteur du livre dans les termes suivants : « Mon cher Sommer, votre livre est excellent. Le problème de notre temps consiste à faire en sorte que l’ouvrier voie sa condition de prolétaire se changer en celle d’associé ». Citons également Guy Bertault (polytechnicien dont le témoignage est cité à la fin de mon livre « La nouvelle entreprise »), qui, alors qu’il dirigeait la Société « Viniprix » (distribution) fondée par son père, a participé à la généralisation du principe de la participation issue de l’ordonnance de 1967. Cette participation réduite n’a malheureusement pas débouché sur la grande réforme sociale voulue par De Gaulle ; toutefois, les « hommes politiques » qui ont succédé à De Gaulle n’ont pas osé revenir sur cet acquis populaire édicté par les ordonnances de 1959 et de 1967.
L’engagement de De Gaulle envers l’économie sociale ne date pas des années 60, il est déjà très largement inclus dans son discours-programme du 9 septembre 1944 prononcé au palais de Chaillot, dans son discours du 2 mars 1945 devant l’Assemblée consultative, ainsi que dans le fameux discours de Bayeux de 1946, et bien d’autres par la suite. L’engagement de De Gaulle pour le renouveau de la justice sociale au travers de la réforme de l’entreprise existait dès la 2nde Guerre Mondiale, au cours de laquelle il décline cette idée dans de nombreux messages et discours. Cet engagement de De Gaulle provenait de sa parfaite conscience du fait que si certains grands patrons avaient effectivement résisté, pendant et avant la guerre, à l’attrait de la collaboration nazie – tels Michelin ou Bloch-Lainé – la très grande majorité d’entre eux avait, depuis fort longtemps – a minima depuis le début des années 1920 (il faut lire les livres de l’historienne Annie Lacroix-Riz pour prendre conscience de l’étendue du problème) -, abdiqué l’intérêt national c’est-à-dire l’intérêt commun au profit de leur intérêt capitalistique supranational ; adoptant, successivement, le parti de la collaboration nazie puis atlantiste. Ces grands capitalistes, dits français, s’acheminent aujourd’hui allègrement, sans doute pour éviter leur disparition, dans la direction de la collaboration avec les paradis fiscaux menés par la City of London, dans l’objectif de l’édification d’un futur gouvernement mondial ploutocratique autoritaire.
L’immédiat après-guerre avait fourni, notamment à Marseille, quelques exemples de mise en pratique de la participation ouvrière au fonctionnement des entreprises ; cette forme nouvelle d’entreprise était, ni capitaliste, ni étatique. Autant d’expériences auxquelles la coalition du grand patronat et de leur intermédiaires politiques et syndicaux a rapidement mis un terme définitif. Dans les années 60, les opposants à la réforme générale de l’entreprise voulue par le Général De Gaulle étaient, sans surprise : Pompidou, issu de la Banque Rothschild, et le CNPF (Conseil National du Patronat Français, ancêtre du MEDEF), techniquement relayés par Ripert (commissaire général au plan), Belin (président de la RATP), Raymond Barre (professeur de sciences économiques, qui a bénéficié d’une belle carrière politique une fois De Gaulle éliminé), de Lestrade (directeur de la caisse nationale des marchés), sans oublier la grande majorité des centrales syndicales ouvrières (mention spéciale pour Pierre Lebrun, ancien secrétaire général de la CGT qui avait tout fait pour minimiser la portée de la réforme) ! Je renvoie les lecteurs intéressés par ce combat titanesque de la fin des années 1960 au livre « De Gaulle, une ambition sociale foudroyée ; chronique d’un désenchantement », écrit par Laurent Lasne et publié aux éditions « Le Tiers Livre » en 2009. Ils y trouveront une vision synthétique du combat politique de De Gaulle pour imposer la participation en tant que réforme générale de l’entreprise, combat qu’il a, bien entendu, perdu !
La « participation », résumée aujourd’hui à une vision comptable transcrite dans les ordonnances de 1959 et 1967, n’a conceptuellement rien à voir avec la réforme générale de l’entreprise qui était portée par René Capitant et Louis Vallon, vision que je partage, actualise et détaille, dans mon livre « La nouvelle entreprise ». Les évolutions nationales, supranationales et mondiales qui ont eu lieu depuis Bretton Woods rendent d’autant plus urgentes, voire vitales pour les peuples, la réforme de l’entreprise dans le sens préconisé par Capitant, Vallon et moi-même.
Tous les aménagements actuels de l’entreprise – qui vont de la prétendue Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE), à la récente réforme « bidon » de l’objet social jusqu’à la contrainte de devoir désigner le bénéficiaire effectif des revenus de l’entreprise – sont de la poudre aux yeux qui permettent et justifient de ne pas réaliser la seule et véritable réforme de l’entreprise : celle portée par Capitant, Vallon et dont je reprends les grandes lignes en les actualisant. Toutes ces prétendues réformes actuelles, initiées par les tenanciers économiques, aboutissent à deux choses : aggraver toujours plus la charge paperassière et technocratique qui pèse sur les PME dans le même temps que le contrôle sécuritaire, extrêmement préjudiciable aux libertés publiques, se resserre sur tout le monde. Les multinationales – c’est-à-dire l’organisation des groupes capitalistiques mondiaux – ne sont évidemment absolument pas impactées par ce genre de réformes anodines et inodores… Ces prétendues réformes de l’entreprise sont des écrans de fumée dressés dans l’espace public pour laisser croire à l’utilité des « hommes politiques » et d’un régime intégralement fondé sur les partis politiques. Ces réformes, non seulement sont dérisoires, mais elles sont surtout toxiques car elles se retournent immanquablement contre les petits contribuables, petits commerçants et petits exploitants… Le seul problème de l’entreprise réside dans le fait que ses participants n’ont pas le même statut ni le même pouvoir dans ses organes de direction, laquelle est phagocytée par les propriétaires majoritaires de capitaux. La méthodologie de ce type de réformes de l’entreprise est la même que celle utilisée pour, prétendument, lutter contre les « paradis fiscaux », en dressant des listes plus ou moins colorées (grises, noires…) et en imposant des traités bi ou multilatéraux d’échange d’informations. De la foutaise puisque les paradis fiscaux reposent, en réalité, sur le seul anonymat des capitaux – anonymat formalisé sous la forme de trusts anonymes juridiquement validés – et qu’il n’est, évidemment, pas question d’y porter atteinte par une quelconque règle ou par un quelconque code de conduite relevant de la « soft law ».
La méthode des « réformes qui n’en sont pas » est simple : il s’agit d’insister lourdement, à grand renfort médiatique, sur des points de détails qui n’auront aucun impact sur le problème réel de façon à :
- Détourner l’attention, profitant de l’occasion pour renforcer dangereusement le contrôle général sur la population, et
- Interdire toute réforme politique utile et efficace.
En France, l’objectif essentiel de ces « réformes pour rire » est de faire changer les apparences pour que rien ne change sur le fond et que les rapports de forces, extrêmement déséquilibrés au profit des propriétaires anonymes des multinationales, restent toujours les mêmes dans l’organisation de l’entreprise comme dans l’organisation de l’État.
Pour ce qui est de mon cheminement intellectuel personnel, chacun comprendra aisément, que l’on ne peut décemment pas s’intéresser à l’entreprise, au droit et à l’économie sans s’intéresser à la monnaie. J’ai, naturellement, été amenée à me préoccuper des questions monétaires dans le prolongement de mes travaux sur l’entreprise et l’économie politique. Il existe d’ailleurs d’étonnantes similitudes entre l’entreprise et la monnaie considérées sous leur aspect social et politique ; ces similitudes m’ont permis d’avancer très vite sur la compréhension des mécanismes monétaires.
L’analyse de la problématique monétaire, faisant suite à celle de l’entreprise, m’a confortée dans l’idée que je devais – pour parfaire mon travail – élaborer les conditions d’un renouveau institutionnel, lequel serait seul à même de pouvoir entraîner une modification pérenne du rapport de force politique entre États et multinationales. Sans modifications institutionnelles et reprise en main politique du rôle de l’État, aucune réforme durable de l’entreprise ou de la monnaie ne pourra avoir lieu.
SF : Quand on publie des textes déjà anciens, 3 ans pour certains, on se pose forcément la question de leur vieillissement ? Est-ce que vos analyses ont pris quelques rides ou au contraire, la réalité qui se dévoile progressivement est-elle celle que vous décriviez ?
La réponse à la première question est une réponse partielle à celle-ci. Mes travaux sur l’entreprise se situent dans une perspective politique et économique de long terme, ils sont ancrés dans l’histoire et ont l’avenir devant eux… D’une façon générale, mes travaux et analyses – pas seulement ceux relatifs à l’entreprise mais aussi ceux de « décryptage du système économique global » et ceux sur le droit et les institutions -, loin d’être démodés, sont au contraire d’une particulière actualité. Dans une perspective temporelle, ils n’ont pas démenti l’histoire dont ils sont le prolongement actualisé. Les énormes avancées politiques du parti des « banquiers-commerçants », largement entrepris à partir de la seconde moitié du XXème siècle, sont la démonstration que non seulement mes travaux ne sont pas obsolètes mais que, tout au contraire, ils constituent le socle du seul avenir politique possible pour les peuples.
Si certains menus détails cités à titre d’exemple ou d’illustration, ont pu changer, la réalité du tableau d’ensemble que je décris ne fait que se confirmer et se renforcer au fil des jours. Le rapport de force entre États et multinationales se déséquilibre davantage chaque jour qui passe au profit des multinationales. Au point que nous nous rapprochons du jour fatidique où les tenanciers économiques nous dirons : regardez à quel point les États sont inutiles et néfastes, ils ne servent qu’à déclencher des guerres et à appauvrir leurs ressortissants, débarrassez-vous en au profit de ce que nous vous proposons de nouveau, à savoir un gouvernement oligarchique de type dictatorial, qui sera présenté comme une nouveauté parée des vertus de la justice et de la liberté. Les choses seront fallacieusement présentées de la sorte alors que non seulement l’impuissance et l’inutilité des États aura été entièrement organisé, en sous-main, par les tenanciers anonymes du « fait économique », mais que les velléités guerrières de ces derniers sont également entièrement dues à cette caste « parasite et violente », toute d’anonymat vêtue, des « banquiers-commerçants » ; caste qui a pris le contrôle des États en prenant celui de leurs monnaies.
La réponse, claire nette et sans ambiguïté, à votre question est : mes travaux, qui n’ont pas pris une ride, sont au contraire d’une particulière actualité, le mouvement français des Gilets Jaunes en atteste ! Si, j’appuie parfois mes travaux, sur des exemples concrets qui peuvent être devenus obsolètes ou avoir perdu l’intérêt précis qu’ils revêtaient à un instant T, l’essentiel de mon travail se situe à un niveau conceptuel. Tous mes articles consistent à mettre en évidence aux yeux d’un public – parfaitement maintenu dans l’ignorance par les instances éducatives, politiques et médiatiques – les véritables rapports de force qui sont à l’œuvre au niveau national et mondial. Et ces rapports de force, non seulement n’ont pas changé, mais se renforcent au contraire chaque jour qui passe dans le sens que je décris et que je dénonce.
SF : Après 3 ans, on vous voit régulièrement apparaître dans les médias anti-système comme TV Libertés ou récemment Russia Today. Quels sont vos rapports avec les médias de grand chemin selon l’expression de Slobodan Despot ?
Pour ne rien vous cacher, je me « produis », là où l’on m’invite ! Toutefois, je ne vous cache pas que je cherche plutôt à éviter ma présence dans les médias de « grand chemin » – pour reprendre la terminologie de S. Despot – que je ne cherche à m’y produire. Je les redoute et les crains car mon discours se situe d’une façon générale à l’exact opposé de leur ligne éditoriale. Nous avons, eux et moi des intérêts divergents : c’est précisément parce que je dénonce la force qui meut ces médias, et tant d’autres institutions, que je n’ai jamais cherché à faire appel à leur intermédiation pour faire connaître mes travaux.
Par ailleurs, depuis les années 2010 (en particulier lors de mon bref passage en politique, lorsque j’ai, en 2014, organisé les élections européennes pour l’UPR), j’ai eu beaucoup trop souvent l’occasion d’analyser les méthodes extrêmement inventives, tour à tour violentes ou pernicieuses, pour déstabiliser, décrédibiliser ou ridiculiser les tenants d’un « discours alternatif » au « discours convenu » tenu par les porte-voix des élites oligarchiques que sont les médias dominants. Ces constats m’ont évidemment confortée dans la position selon laquelle il faut éviter – tant que faire se peut – de se produire chez eux.
Lorsque je fus réellement prête à publier l’ensemble de mes travaux, je me suis, naturellement, adressée à des sites alternatifs, en choisissant les plus qualitatifs en termes de contenus, pour relayer mes articles. Le Saker Francophone, premier sur ma liste, a répondu présent. Je profite de cette réponse pour le remercier de sa confiance et de sa fidélité dans la diffusion de mes textes, c’est réellement avec lui, et grâce à lui, que ma carrière d’auteur a débuté. Ensuite, bien évidemment, je remercie les éditions Sigest pour leur même confiance, constance et honnêteté dans la publication papier, sous forme de livres, de mes travaux.
SF : Ce dernier chapitre sur le renouveau institutionnel est presque prémonitoire des Gilets Jaunes qui demandent aux politiques eux aussi une meilleure répartition du gâteau, en leur faveur. Quels liens faites-vous avec vos propres propositions ?
Comme je l’explique dans la question n°2, la situation politique actuelle, est le parfait reflet de ce que je décris dans mes travaux : à savoir la disparition du « fait politique » au seul profit du « fait économique ». Les États ne sont plus que des coquilles vides chargées de relayer fidèlement les intérêts catégoriels des tenanciers du système économique, c’est-à-dire des plus gros détenteurs, anonymes, de capitaux ! Ces derniers se sont octroyés, en silence, un pouvoir politique absolu et ne sont jamais politiquement responsables des décisions qu’ils font prendre par leurs marionnettes politiques. Ils sont doublement politiquement irresponsables en réalité :
- D’une part, parce qu’ils agissent, en toute opacité, par le biais d’intermédiaires politiques, véritables « hommes de paille » présentés comme des « hommes politiques », et ;
- D’autre part, et surtout, parce qu’il serait extrêmement malaisé de désigner nommément ces véritables responsables politiques, cachés qu’ils sont derrière l’anonymat et les paradis fiscaux, qu’ils organisent eux-mêmes à l’échelle mondiale.
Dans ces conditions, aucune réforme, aussi fondamentale que celle de l’entreprise et que celle de la monnaie ne pourra jamais avoir lieu. A preuve, les seules réformes qui sortent, telle que celle du droit des obligations ou celle du « secret des affaires », vont dans le sens de l’asservissement accru des individus et des PME.
Cet état de chose provient du déséquilibre fondamental du rapport des forces sociales, lequel déséquilibre est acté par les institutions politiques de l’État moderne axé autour du parlementarisme. Il est évident que ce déséquilibre institutionnel est encore plus fortement marqué dans les institutions supranationales de l’Union européenne (Lire à ce propos la première partie de mon livre « Du nouvel esprit des lois et de la monnaie », co-écrit avec Jean Rémy et publié aux éditions Sigest en juin 2017.), qui sont le prolongement grotesque et « naturel » des déséquilibres inhérents aux régimes démocratiques (qui prennent souvent la forme Républiques parlementaires) modernes.
Les populations sont donc dans une impasse à tous les niveaux : politique, institutionnelle, économique, juridique, médiatique et que sais-je encore. Lorsqu’il ne reste plus aucun moyen de se faire entendre, descendre dans la rue en manifestant physiquement est la dernière option avant l’éclatement général sous forme de révolte-révolution. Au point où nous en sommes rendus, il semble que les « marionnettes politiques » au pouvoir cherchent justement à faire advenir de gros troubles politiques afin de justifier le retour officiel de régimes politiques autoritaires, seuls à même de maintenir en place leurs donneurs d’ordre, qui sont les principaux propriétaires de capitaux à l’échelle mondiale. Mes travaux sur les institutions ont pour objectif de rendre à l’État ses lettres de noblesse, c’est-à-dire de permettre la réémergence, le retour si vous préférez, du phénomène politique. Ce retour est, en l’état actuel des institutions, tout à fait, structurellement, impossible. Tout le monde doit ouvrir les yeux et comprendre pourquoi les institutions représentatives alliées à la traduction (interprétation) de la séparation des pouvoirs faite par les régimes politiques parlementaires modernes sont mécaniquement inaptes à assurer la démocratie. Ne parlons même pas des institutions supranationales de l’Union Européenne : on est ici, dans une domination économique décomplexée !
Après avoir démonté les mécanismes obscurs qui régissent l’ordre politique des actuelles démocraties parlementaires en donnant réellement, bien que de façon opaque et détournée, le pouvoir absolu aux tenanciers économiques, il m’est apparu évident et nécessaire de proposer des alternatives institutionnelles. Mes travaux sur les institutions ont donc une double finalité :
- expliquer en quoi les institutions actuelles sont profondément perverses et
- proposer des pistes de réformes pour changer radicalement l’ordre des choses : c’est-à-dire pour permettre la réinstauration d’une représentation politique des différents courants et intérêts qui parcourent une Société (au sens d’un groupement d’individus sur un territoire déterminé).
Pour résumer, les choses se présentent de la façon suivante : le rapport de force entre l’intérêt privé de la caste des « banquiers-commerçants » et l’intérêt général (politiquement représenté) est extrêmement défavorable aux populations. Les intérêts privés des plus gros capitalistes de la planète ont réussi à supprimer quasiment tous les contre-pouvoirs, aussi bien à l’intérieur des États qu’au niveau international, et leur hégémonie politique, encore officieuse, est maintenant totale. Les peuples veulent-ils continuer à aller dans cette voie ? Voie qui mènera tout droit vers l’esclavagisme, juridiquement acté au niveau international, de ceux qui produisent la richesse, les sédentaires, par ceux qui la ponctionnent, les nomades, alors que ces derniers ne sont eux-mêmes aucunement investis dans un quelconque processus d’apport collectif.
La question reçoit, en France, un commencement de réponse avec le mouvement populaire des Gilets Jaunes. Car, à l’évidence, la seule réelle revendication de ce mouvement est de récupérer le contrôle politique que les français – certains d’entre eux, de plus en plus nombreux – ont compris avoir perdu. La seule réelle revendication des Gilets Jaunes est de récupérer leur droit politique à s’autodéterminer en fonction de leurs différents intérêts collectifs – qui devront être politiquement affirmés – et de leurs intérêts communs – qu’il faudra juridiquement déterminer.
C’est pourquoi il est de la plus haute important que Les Gilets Jaunes prennent connaissance de mes travaux ; ce mouvement est, à mon sens, le détonateur politique de ce qui pourrait devenir un avenir politique libre, à mille lieux de ce que nous promet le futur gouvernement mondial ploutocrate et prédateur.
SF : Quels sont vos projets pour les prochains mois ? Des traductions à l’étranger peut-être ?
Mes projets sont à vrai dire assez flous, j’évolue au jour le jour. Néanmoins, j’ai en effet, sur du moyen terme, quelques projets d’écriture à résonance internationale. D’une part, j’ai accepté de participer à la rédaction d’un volume collectif italien sur le décryptage de l’ordre, ou plutôt du « désordre » actuel. Deuxièmement, j’ai également accepté de participer à un autre projet d’écriture dont je ne peux encore rien dire. Toutefois, le Saker Francophone aura très bientôt accès à plus de détail sur ce projet qui se traduira peut-être également par la prochaine publication en français d’un petit fascicule à usage populaire.
Pour le reste, je n’abandonne pas l’idée de rédiger, seule ou à plusieurs, un futur livre sur la monnaie dans lequel je détaillerai précisément le rôle juridique et social de la monnaie et à l’occasion duquel j’aborderai des pistes monétaires présentées comme « d’avenir » par les médias et autres groupes d’intérêt, comme par exemple les crypto-monnaies. Les enjeux politiques et économiques d’une monnaie nationale et d’une monnaie mondiale seront évidemment détaillés dans ce livre. Mais il ne s’agit là encore que d’un lointain projet…
Merci Valérie Bugault
Notes
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